La formule 1 serait-elle un sport de dilettante ? Confiez un drone de course à un champion de F1, il crashera l’engin en moins de cinq secondes. « Quand vous inclinez le drone pour accélérer, il reste penché : à vous de le redresser. Bon courage. Il m’a fallu quelques semaines pour y arriver », sourit Julien Leteve, l’un des meilleurs pilotes français. « Si vous n’y arrivez pas, vous pouvez brancher l’assistance. Vous volerez facilement, mais vous terminerez la course parmi les derniers. »

Piloter à pleine vitesse exige une redoutable adresse. En comparaison, aux commandes d’une voiture, la tâche est simple : accélérer, freiner, passer les vitesses, tourner… Un programme bien plat en somme. Introduisez la troisième dimension et tout se complique. Les pilotes de drone rasent le sol à plus de 100 km/h, ajustant la hauteur du drone en permanence. Ils négocient leurs courbes dans un grand cube d’air en trois dimensions. La tâche est tellement difficile que le principal danger vient du pilote lui-même. S’il commet la moindre erreur, le drone accroche le sol, ou percute un obstacle. La menace du crash est permanente.

L'entrainement d'un champion de drone
Durée : 02:34

Sur un circuit de drone, « il y a de la place partout pour passer ». De toute façon, le pilote est myope comme une taupe. Dans ses lunettes électroniques, l’image est si mauvaise qu’il ne voit pas ses concurrents. « Moi, je fais comme si j’étais tout seul. De temps en temps, j’arrive à voir mon adversaire quand je m’approche à un mètre de lui. J’arrive même parfois à freiner pour l’éviter. Mais pendant les qualifications, ça devient impossible. On affronte des débutants qui volent à 30 km/h, là où nous passons à 150. Je me suis crashé trois fois à cause de ça. »

Nicolas Six pour "Le Monde"

Julien Leteve a découvert le quadrirotor il y a un an et demi. « Dès ma première course, j’ai fait le meilleur temps des qualifications devant 118 pilotes. C’était totalement inattendu. Je pratique l’aéromodélisme depuis tout petit, j’ai participé à des compétitions d’hélicoptère, je n’ai jamais fait partie des meilleurs. » Ses excellents résultats en compétition n’ont pas changé son approche. « Je continue de voler pour me détendre, ça me procure beaucoup d’adrénaline. »

Julien Leteve a conservé son poste d’agent SNCF. Pour le moment, sa passion ne lui rapporte presque rien. Richard Vinuesa, le cofondateur d’ERSA, qui organise de nombreuses courses internationales, le confirme. « A ma connaissance, un seul pilote français vit de l’aéromodélisme, c’est Dunkan Bossion. Mais il est aussi champion d’hélicoptère. »

Vingt batteries par entraînement

Julien s’entraîne au nord de Paris. « J’utilise vingt batteries par entraînement. Soit environ trente minutes de pilotage si on cumule les vols. Après ça, tu es vidé. » Il s’entraîne deux fois par semaine, le minimum pour intégrer le cercle des meilleurs pilotes. « J’essaye de dépasser mes limites. Je vole à 80 % pour m’échauffer, puis à 100 %, et je finis en poussant à 110 %. Les images doivent arriver très vite à mon cerveau pour que je m’y habitue, et pour que je progresse. »

L’art du pilotage est libre. D’un champion à l’autre, les trajectoires diffèrent du tout au tout. « Je me souviens d’un pilote qui paraissait beaucoup plus lent que moi. Curieusement, il faisait de meilleurs temps. Il frôlait tous les drapeaux, ne s’écartait jamais de la trajectoire, volait toujours à la même altitude. Ça m’a beaucoup appris, moi qui suis un peu foufou. Je suis du genre à prendre très largement les portes et à remettre les gaz à fond. L’art de la trajectoire, c’est très compliqué. Dans certains virages, il faut conserver de la vitesse, dans d’autres, il faut freiner fort. En trois dimensions, il y a tellement de possibilités que le tour parfait est impossible. »

Nicolas Six pour Le Monde

Pour décortiquer le pilotage de ses adversaires, Julien Leteve se connecte sur leur drone avec ses lunettes électroniques. Le flux vidéo voyage par la voie des airs et n’est pas crypté. Pendant le tour de qualification d’un concurrent, Julien Leteve voit exactement la même chose que lui. Il peut enregistrer ses meilleurs adversaires pour analyser leurs trajectoires, cela ne choque personne. « On partage beaucoup entre pilotes. Après les qualifications, on se réunit pour discuter trajectoire. Pendant les courses, on voit même des pilotes donner des pièces à leurs adversaires. L’esprit est très amical. »

Simulations sur PC

Entre deux entraînements, Julien Leteve ne pilote pas sur ordinateur, contrairement à beaucoup d’autres champions. On trouve pourtant sur Internet des simulateurs de vol qui reproduisent le pilotage des quadrirotors de façon étonnamment réaliste. « Personnellement, je vole pour le plaisir, je préfère la réalité. »

Mais la réalité coûte cher. « A l’entraînement, je casse fréquemment un drone ou deux. Ça coûte cher en réparations. Enfin… ça me coûtait cher. Aujourd’hui, mes sponsors me donnent toutes les pièces dont j’ai besoin. » Un drone capable de gagner une course coûte un peu plus de 1 000 €. Si l’on y ajoute les pièces détachées, les voyages pour participer aux compétitions, une saison à haut niveau coûte près de 1 000 € par mois. Un budget relativement démocratique comparativement aux autres sports mécaniques.

Les sponsors de Julien Leteve prennent en charge ses dépenses, mais sa passion lui prend énormément de temps. Pour trois heures sur le terrain d’entraînement, il passe six heures en atelier, à réparer et régler ses drones. Courbe d’accélération des gaz, courbe de rotation, espacement des moteurs, etc. Les réglages sont interminables et très personnels. « Si je prends le drone d’un autre pilote, je n’arrive pas à voler avec. »

Son passé de pilote d’hélicoptère a beaucoup aidé Julien Leteve à régler ses drones. « J’ai passé des nuits sur Internet à glaner des infos. Ça m’a fait faire un pas de géant. Beaucoup d’excellents pilotes terminent loin des premières places parce que leur drone est mal réglé. Des équipes ont mis à disposition des ingénieurs pour leurs pilotes. Cela ne les fait pas forcément gagner. Le ressenti du pilote est très important pour peaufiner les réglages. »

De 0 à 100 km/h en 1,5 seconde : le pilotage de drones de course, un sport extrême
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Course « en cage »

Pour la course de dimanche, les Champs-Elysées (Paris) seront fermés à la circulation. Les pilotes voleront dans une cage de cent mètres par trente, entourée d’un filet métallique. La course sera filmée par dix caméras et rediffusée sur Paris.fr et iTV. Voilà qui fera peut-être décoller la notoriété du drone FPV (First Personal View) en France. La star du jour sera Luke Bannister, un jeune Anglais de 15 ans, qui a remporté la première grande compétition internationale à Dubai, en mars. Kim Min-chan, 12 ans et vainqueur de l’épreuve freestyle (vol improvisé), ne sera pas présent.

Pourquoi les champions de drone sont-ils si jeunes ? Comparativement, les champions de F1 gagnent leurs premières courses vers 22 ans, comme les champions de tennis, un autre sport d’adresse. Le mystère est épais. On en est réduit à des spéculations. Le FPV est un sport incomparablement moins cher que le parcours karting-f3000-f1. Son accès est plus démocratique. Le pilotage en trois dimensions n’a émergé qu’en 2014, la plasticité cérébrale des adolescents favorise peut-être leur adaptation rapide. Les règles du pilotage des quadrirotors ne sont pas encore parfaitement définies. Il n’existe pas d’académie du pilotage en 3D, ni même de pédagogie. Chez certains enfants, la pratique assidue de jeux vidéo en 3D développe leur perception dans un espace tridimensionnel. « Les champions de jeux vidéo de simulation feront forcément d’excellents pilotes », risque même Julien Leteve.

Nicolas Six pour "Le Monde"

Quand les pilotes de F1, engoncés dans leur monoplace, mettent leur vie en jeu, les champions de drone pilotent à distance, cachés derrière leur télécommande, placidement installés sur un siège. Le danger n’a pas la même saveur lorsqu’on risque uniquement de casser une hélice. Cela incite-t-il à prendre tous les risques ? « En course, je vole rarement à 100 %, tempère Julien Leteve. Je place le curseur à 80 % pour doser les risques. Si l’écart se réduit, mon copilote me prévient, et j’accélère. »

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