Le président du Parlement européen, Martin Schulz, et le premier ministre turc, Binali Yildirim, à Ankara, le 1er septembre. | ADEM ALTAN/AFP

C’est la première visite officielle d’un dirigeant de l’UE en Turquie depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, devait rencontrer le président turc Recep Tayyip Erdogan jeudi 1er septembre en fin d’après-midi, avec pour objectif de restaurer une relation fragile, devenue plus délicate encore depuis la tentative de putsch militaire et la vaste répression qui se poursuit depuis.

Début août, M. Erdogan a ainsi envisagé l’idée de rétablir la peine de mort dans son pays. « Si tel est le cas, c’est la fin du processus d’adhésion », a indiqué M. Schulz au Monde, tout en constatant que le président turc est moins insistant sur ce thème ces derniers jours.

Il n’empêche, au-delà de ces difficultés, la relation reste considérée comme indispensable par Bruxelles, puisqu’il s’agit de préserver le fragile accord de refoulement des réfugiés vers la Turquie signé en mars avec Ankara. Un accord contesté, mais efficace sur le terrain, que le pouvoir turc menace régulièrement de dénoncer.

Message de solidarité

« Les Turcs ont le sentiment que nous avons manqué de solidarité à leur égard à la suite au coup d’Etat. C’est inexact mais je viens pour le leur dire de vive voix. Nous sommes entièrement solidaires des événements qu’ils ont vécus et disons notre admiration pour un peuple qui a su préserver son gouvernement et ses institutions démocratiquement élues », explique M. Schulz.

L’UE avait dénoncé le coup d’Etat et, il est vrai, presque dans le même temps, appelé à respecter l’Etat de droit après qu’Ankara a tout de suite annoncé le limogeage et/ou l’arrestation de milliers de militaires mais aussi de fonctionnaires, de juges et de professeurs etc. Une réaction prudente très peu appréciée par le pouvoir turc.

« Nous devons aussi prendre au sérieux le sentiment des Turcs qu’on ne leur prodigue pas autant de compassion qu’aux Francais ou aux Allemands par exemple alors qu’ils sont eux terriblement touchés par les attentats », ajoute M. Schulz.

Au-delà de ce message de solidarité, le président du Parlement de Strasbourg (lui-même issu du SPD allemand), qui a aussi rencontré le chef de file du CHP (Parti social-démocrate, kémaliste) et son homologue à la tête du Parlement turc, comptait également bien parler « avec clarté » à M. Erdogan des préoccupations européennes : les atteintes graves et répétées à la liberté de la presse, la répression féroce contre les médias indépendants ou supposés proches de la confrérie Gülen, accusée par le régime d’avoir fomenté le coup d’Etat.

« La répression en Turquie alimente le cycle de la violence »

M. Schulz voulait rappeler à M. Erdogan que l’Europe « attend que la Turquie respecte l’Etat de droit. Les Turcs ont le droit incontesté de poursuivre les terroristes mais ils doivent détenir des preuves solides pour cela », a ajouté le dirigeant européen. Il comptait aussi parler de la question kurde, en se concentrant sur les Kurdes de Turquie : « la répression en Turquie alimente le cycle de la violence. Que Erdogan en revienne à cette politique d’apaisement qui avait été la sienne au milieu des années 2000 », demande M. Schulz.

Concernant l’accord de mars de renvoi des réfugiés de Grèce en Turquie, M. Schulz assure qu’il peut encore durer. Montré du doigt par les ONG, il a cependant eu pour résultat de stopper au moins jusqu’à ces dernières semaines les arrivées de migrants en Grèce. Mais les Turcs ont menacé à plusieurs reprises de le rompre, s’ils n’obtenaient pas en échange la levée des visas de courte durée pour l’Europe d’ici à mi-octobre. Bruxelles s’y était engagée mais à condition qu’Ankara remplisse les 72 critères exigés pour se faire. « Nous devons rester très fermes », assure M. Schulz.

Depuis mai, même si sur le plan technique, les équipes de la Commission assurent continuer d’avancer, les Turcs n’en sont toujours qu’à 66 critères remplis. Ils refusent surtout d’amender leur loi sur la lutte contre le terrorisme, que Bruxelles trouve trop vague et de nature à justifier des arrestations arbitraires.

« Pas de visas si la loi antiterroriste n’est pas amendée »

Mais M. Erdogan s’y est fermement opposé, le sujet est ultrasensible alors que le pays est secoué par les attentats. « Erdogan tient cependant beaucoup à la libéralisation des visas, il l’a promis aux entrepreneurs », veut-on croire dans l’entourage de Schulz, « cela reste une de ses priorités ». « Il n’y aura pas les visas si la loi antiterroriste n’est pas amendée », dit M. Schulz, qui estime que la demande pour une levée mi-octobre est « illusoire ». « Mais rien n’est définitif, la demande de libéralisation est sur mon bureau » explique M Schulz.

La relance des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union, qui fait aussi partie de l’accord de mars, est également au point mort. Mais M. Schulz, tout comme Jean-Claude Juncker, le président de la commission, refuse de l’enterrer. C’est un fait entendu : la Turquie n’a aucune chance d’adhérer à l’UE dans un avenir proche, trop de membres de l’Union n’en veulent pas, « mais il faut maintenir le lien. Si le processus d’adhésion est stoppé, politiquement cela signifie la fin des relations entre l’Union et la Turquie », confie un diplomate européen.

Les Turcs vont-ils mettre leurs menaces à exécution et rouvrir les vannes de la migration vers l’Europe à l’automne s’ils n’obtiennent pas la levée des visas ? M. Schulz n’y croit pas, la Turquie devrait, selon lui, tenir ses engagements. « M. Erdogan a réussi à casser les trafics depuis mars et il donnerait l’impression au monde d’être le parrain des passeurs ? Ce n’est pas possible », selon un diplomate, qui assure que Berlin et Bruxelles ne cherchent pas de « plan B » et continuent à miser sur la relation turque et sur l’accord de mars.