Paul Pogba, lors du match Hull City-Manchester United, à Kingston-upon-Hull (nord-est de l’Angleterre), le 27 août. | LINDSEY PARNABY / AFP

Il n’y a jamais eu autant d’argent dans le football. Et cela se voit. Le mercato, la période de transferts de joueurs qui s’est étirée du 9 juin au mercredi 31 août à minuit, a encore crevé tous les plafonds. Pas moins de 3,3 milliards d’euros ont été dépensés par les clubs professionnels de cinq principaux championnats européens pour acheter des dizaines de joueurs, selon le décompte publié jeudi 1er septembre par le cabinet Deloitte.

Si en France les clubs ont dépensé près de 195 millions d’euros, le marché qui a affolé toute la planète du ballon rond, c’est bel et bien la Premier League, le célèbre championnat anglais. Les vingt clubs de l’élite d’outre-Manche ont pour la première fois dépassé la marque du milliard de livres dépensé pendant l’été, à 1,165 milliard de livres exactement, près de 1,4 milliard d’euros !

Le symbole de ce mercato record : Paul Pogba, devenu à 23 ans le joueur le plus cher de la planète. Le milieu de terrain tricolore est passé de la Juventus à Manchester United moyennant un chèque de 89 millions de livres (105 millions d’euros). John Stones, lui, est devenu le défenseur le plus cher de l’histoire. Manchester City a déboursé 55,6 millions d’euros pour s’offrir ce joueur d’Everton, soit 3 millions de plus que ce que club avait déboursé pour acheter le Français Eliaquim Mangala à Porto il y a à peine deux ans. Depuis, ce dernier, relégué sur le banc, a été prêté à Valence…

Surinvestissement

Les équipes du championnat anglais ont dépensé en moyenne 70 millions d’euros pour se renforcer. Arsenal, Manchester City, Manchester United ou Chelsea ont déboursé plus de 100 millions d’euros chacun. Des clubs plus modestes, comme Sunderland ou Wolverhampton, en deuxième division, n’ont pas hésité à casser leur tirelire pour s’offrir pour plusieurs dizaines de millions d’euros de jeunes joueurs encore en devenir.

Manchester United et Chelsea, pourtant privés cette année de Ligue des champions, la compétition européenne la plus prestigieuse, ont particulièrement alimenté ce marché fou des transferts. Pour attirer des joueurs de très haut niveau, tel Pogba, qui ne pourront s’afficher sur l’épreuve européenne reine, ils n’ont pas hésité à surinvestir, indique le cabinet Deloitte. Chelsea a ainsi signé un chèque de 40 millions d’euros pour recruter Michy Batshuayi, le jeune avant-centre belge de Marseille et 35 millions d’euros pour racheter David Luiz au Paris-Saint-Germain…

Le championnat d’Angleterre est progressivement entré dans un autre monde grâce à l’extravagante inflation des droits de retransmission télévisée. En perdition dans les années 1980-1990, le foot anglais a fait sa révolution en refoulant les hooligans des stades et en investissant largement dans leurs effectifs et leur environnement, avec des stades désormais toujours pleins. Dans cette mue, la quasi-totalité des clubs, de vraies entreprises, est passée aux mains d’investisseurs américains, russes, émiratis ou encore asiatiques…

130 millions de livres pour le dernier

La Premier League est le premier championnat de football au niveau mondial et est diffusée dans quelque 145 pays. Son chiffre d’affaires a atteint 4,4 milliards d’euros pour la saison 2015-2016, selon les données du cabinet Deloitte. C’est trois fois plus que la Ligue 1, et c’est surtout très rentable. Sur le dernier exercice, les clubs ont dégagé près de 150 millions d’euros de bénéfices…

Le « Petit Poucet » Leicester, qui a remporté le championnat en 2016, disposait de la bagatelle de 137 millions d’euros de budget l’an dernier

Parmi les vingt clubs de football disposant du plus gros chiffre d’affaires au monde, huit sont anglais, selon Forbes. Le « Petit Poucet » Leicester, qui a remporté le championnat en 2016, disposait de la bagatelle de 137 millions d’euros de budget l’an dernier. Plus que 85 % des clubs français…

En 2015, les Anglais ont pu compter sur 1,9 milliard d’euros de droits de retransmission, soit de 75 millions à 120 millions d’euros par équipe ! Et cela devrait encore augmenter. Sur la période 2016-2019, les clubs de Premier League se partageront plus de 3 milliards d’euros par an. A partir de cette saison, « le club qui finira dernier (…) va engranger 130 millions de livres, expliquait cet été le chercheur britannique Rob Wilson à L’Equipe. Rien qu’avec les droits télé, ce club touchera plus que l’ensemble des revenus de la plupart des clubs européens… » Par comparaison, en France, ces droits rapporteront à l’ensemble des clubs professionnels 745 millions d’euros par an entre 2016 et 2020.

Un marché désormais mondial

Avec leur manne, les équipes anglaises se permettent tout.

« Les écuries les plus riches s’offrent les joueurs les plus cotés, mais les autres ne sont pas en reste car ils bénéficient à plein de la redistribution au sein de la Premier League, indique Loïc Ravenel, chercheur au Centre international d’étude du sport de Neuchâtel, en Suisse. Ils n’hésitent pas à investir des sommes extravagantes pour des joueurs prometteurs ou moyens. S’ils ne se trompent pas, ils pourront faire une plus-value importante en les revendant à un plus gros club. C’est typiquement un système de bulle spéculative. »

La bulle ne semble cependant pas encore près d’exploser. Car la Premier League n’est pas seule sur un marché désormais mondial. Les clubs chinois, dont le championnat en est encore à ses balbutiements, ou des pays du Golfe, ont pris le relais des clubs russes pour recruter très cher des joueurs. En excluant les clubs anglais, le deuxième plus gros transfert de l’été (après celui de l’Argentin Gonzalo Higuain qui a rejoint la Juventus Turin pour 95 millions d’euros) est celui du Brésilien Hulk, passé de Saint-Petersbourg à Shanghaï pour 55 millions d’euros…

Même si les clubs anglais financent aujourd’hui par leur politique les clubs des petits championnats, et notamment la Ligue 1, en leur achetant des joueurs, le système ne semble pas soutenable. A long terme, la Premier League risque de les asphyxier et ils pourraient alors perdre en intérêt. Sans compter que cela consacre également la concentration des richesses au niveau d’une poignée de clubs européens (Real Madrid, Barcelone, Juventus, Bayern Munich, Paris-Saint-Germain, etc.), au détriment de l’équité sportive.