Cheick Cissé, le champion olympique de taekwondo à Abidjan, le 27 août 2016. | AFP

Le jeune champion de taekwondo a rapporté, samedi 27 août, la première médaille d’or olympique du pays. Son parcours, d’un quartier populaire de Bouaké aux tatamis de Rio, est rythmé par une passion indéfectible pour ce sport.

Les abords du boulevard Giscard-d’Estaing, emblématique artère reliant Abidjan à l’aéroport international, étaient bondés samedi. Du tarmac jusqu’au Palais des sports de Treichville, à l’ouest de la ville, les Ivoiriens ont réservé un accueil triomphal tout en cris, klaxons et percussions à celui qui apportait à la Côte d’Ivoire la première médaille d’or olympique de son histoire. Le jeune taekwondoïste Cheick Cissé, qui était encore peu connu du grand public il y a un an, est désormais une star, sans cesse alpagué pour des « selfies ».

« Il revient de loin, et a beaucoup donné. Mais c’est dans la difficulté qu’il s’est transcendé. Et ça a payé », lance le maître Lucien Christian Kragbé, mentor du champion, encore ému une semaine après l’exploit. Né en 1993 à Dar-es-Salam, un quartier populaire de Bouaké, au centre du pays, Cheick Cissé, dit « Polozo », fait ses premiers pas sur un tatami avec le karaté shotokan. C’est son père, Abdel Kader, qui le pousse à s’initier à ce sport qu’il n’a lui-même jamais pu exercer. « J’étais très rigoureux, à la maison, c’était une éducation militaire », précise-t-il, les yeux toujours humides d’émotion. « L’autorité de mon père, ça a été dur mais j’en suis aujourd’hui très reconnaissant », avoue Cheick, géant aux yeux doux en jogging « Rio 2016 », deux jours après la cérémonie au palais de sports.

Sport national

Alors qu’il a 7 ans, le futur champion déménage dans le quartier de Koumassi, à Abidjan. Abdel Kader, affecté dans l’école de l’arrondissement Inch’Allah, cherche à poursuivre l’entraînement de son fils et trouve pour lui des cours de taekwondo. « Je ne faisais pas vraiment la différence avec le karaté à l’époque. L’important, c’était qu’il continue », confie-t-il. La « voie du pied et du poing », cet art martial sud-coréen arrivé en Côte d’Ivoire en 1968 avec le grand maître Kim Young Tae, fait partie intégrante du sport national depuis les championnats du monde à Séoul, en 1975, où le pays décroche deux médailles de bronze, et en 1985, l’argent.

Ses parents étant séparés, celui qui apportera ses lettres d’or à la discipline fait souvent la navette entre Koumassi et Youpougon, à 30 km, où vit sa mère. « Quand j’étais chez elle, je sortais, je jouais au foot, je laissais un peu le taekwondo. J’ai commencé à me décourager et pendant un an je n’en faisais plus vraiment », se rappelle « Polozo ».

Il est poussé par son père, encore lui, qui a contribué à la création d’une section taekwondo dans son école, le club INEKA. Il y fait venir son fils, qui rencontrera son maître, Lucien Kragbé, et se constituera un groupe d’amis qu’il ne quittera plus. « Il a fait toutes les catégories avec moi, de benjamin à senior. Il a un mental très fort, j’en ai fait un compétiteur », confie l’instructeur de l’INEKA. Cheick s’entraîne sur le macadam de l’école, « avec les moyens du bord », mais ne perdra plus sa motivation. Il fait vite partie des 40 000 licenciés à la Fédération ivoirienne de taekwondo (FITKD) et, dès sa première compétition en cadet, commence à accumuler les médailles.

Programme d’entraînement draconien

En 2009, Cheick Daniel Bamba, 5e dan de taekwondo, est élu à la tête de la FITKD, et fait immédiatement part de son rêve : offrir une médaille olympique à son pays. Lucien Kragbé le prend au mot, et s’attelle à créer un « club d’élite ». Quand « Polozo » déménage à Youpougon chez sa mère pour passer son bac, il continue à venir à Koumassi. Avec son maître, du vendredi au dimanche soir, ils mettent en place un programme draconien. « Je me suis entraîné tous les week-ends sans exception, dans des conditions très difficiles, levé à 5 heures pour l’entraînement, couché tard pour analyser les vidéos de mes performances. » L’athlète obtient son bac et gravit les échelons jusqu’à la coupe du monde par équipe de 2013, à Abidjan, où il décroche l’argent dans la catégorie des moins de 80 kg. « J’ai été le meilleur marqueur de la compétition. C’est là que tout a vraiment commencé », lâche-t-il, un sourire en coin.

Repéré, il intègre le programme de Cheick Daniel Bamba. « Il n’a jamais pris de congé, il voulait toujours être au plus haut, à tel point qu’il a fallu le canaliser, se remémore le président de la FITKD. Généreux dans l’effort, très discipliné, nous l’avons fait voyager pour qu’il affronte les ténors et soit à l’aise dans les grandes compétitions. » Tout en restant fidèle à l’INEKA, l’athlète suit un double programme avec son nouvel entraîneur de la fédération, Attada Tadjou, et décroche une médaille partout où il passe, dont l’or aux championnats d’Afrique de 2014 et de 2016.

Obnubilé par la volonté de se qualifier aux J.O., il ne vit que pour le sport. Jusqu’au jour où, à la dernière seconde d’une finale de l’autre côté de l’Atlantique, il assène au Britannique Lutalo Muhammad le coup qui l’a porté au sommet. Il le confie sans hésiter, il n’est pas près de s’arrêter, et pense déjà à Tokyo, pour les J.O. de 2020.