Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’institut de sondage IFOP, a dirigé la publication de l’essai Karim vote à gauche et son voisin vote FN (L’Aube-Fondation Jean-Jaurès, 192 p.). Il explique les raisons pour lesquelles le Front national (FN) n’arrive pas à séduire dans les banlieues et quartiers populaires.

Le FN essaie de s’implanter depuis les années 2000 dans les quartiers populaires et les communes de banlieue. Observe-t-on une montée du vote frontiste dans ces zones ?

Jérôme Fourquet : On observe historiquement dans ces zones un vote très massif à gauche. Au second tour de la présidentielle de 2012 par exemple, François Hollande y a obtenu en moyenne 70 % des voix. L’idée que les banlieues et quartiers à forte proportion de population issue de l’immigration se mettraient désormais et de plus en plus à voter FN est un fantasme. Bien sûr, le FN arrive à y faire quelques voix, mais ce sont encore des scores très faibles.

On a observé, à Marseille notamment, que c’était justement dans les bureaux de vote où résidait majoritairement une population issue de l’immigration que le FN réalisait ses plus faibles scores et, qu’inversement, c’était dans les quartiers et bureaux de vote à faible proportion de personnes issues de l’immigration (mais jouxtant souvent les bureaux précédemment évoqués) que le FN obtenait ses scores les plus importants.

Pourquoi le FN n’arrive-t-il pas à s’implanter dans les banlieues ?

Essentiellement parce que le fonds de commerce du FN, c’est encore et toujours la crainte, voire le rejet, de l’immigration, notamment maghrébine et musulmane, dont découlerait le chômage, l’insécurité, l’islamisme et aujourd’hui, potentiellement, le terrorisme. Pour le FN et bon nombre de ses électeurs, nos concitoyens issus de l’immigration seront toujours en quelque sorte des « Français de papier ».

C’est une représentation tellement ancrée dans leur discours et dans les propos des candidats du parti que c’est illusoire de croire qu’ils arriveront à capter une part significative de ce que l’on appelle « l’électorat des banlieues ».

S’ils peuvent réussir à séduire un électorat arabo-musulman sur certains points, notamment sur l’insécurité souvent très forte dans ces quartiers, à partir du moment où le principe actif du vote frontiste demeure le rejet de l’immigration et la crainte de l’islamisation, je ne vois pas bien comment le FN peut s’adresser efficacement à cette population et se poser comme une alternative à la gauche et à la droite.

C’est un blocage idéologique insoluble. Mais c’est aussi le prix à payer pour faire de bons scores auprès d’un électorat sensible à la thématique des méfaits attribués à l’immigration.

Comment expliquer que le FN arrive à accéder au second tour lors d’élections locales dans ces quartiers ?

Le FN est un parti de premier tour, qui a les plus grandes difficultés à gagner sur son nom seul au second tour, notamment parce qu’il suscite une levée de boucliers contre lui. D’ailleurs, on observe dans les quartiers populaires et les banlieues une mobilisation assez forte contre le FN au second tour.

Dans ces zones, il y a une forte abstention au premier tour qui s’explique par une déception et une dépolitisation des électeurs, suivie d’un réveil contre le FN au second tour dans les cas de duel entre un candidat FN et un candidat de droite ou de gauche. Preuve que le parti frontiste agit encore comme un épouvantail, voire un repoussoir très puissant auprès de cet électorat.

Si la conquête des banlieues est « illusoire », alors comment expliquer cette volonté de les conquérir ?

L’objectif du FN de Marine Le Pen, c’est d’accéder au pouvoir au niveau national. Et, pour cela, il doit renforcer et développer son audience dans toutes les strates de la société, particulièrement là où il est le plus faible : chez les CSP +, les enseignants, les retraités et, bien sûr, dans les quartiers populaires et les banlieues. Il a d’ailleurs constitué des collectifs à destination de ces électeurs.

Le FN dispose déjà d’un socle très élevé dans les milieux populaires non issus de l’immigration maghrébine, dans les zones péri-urbaines et parmi les commerçants, artisans et indépendants. On peut d’ailleurs penser qu’il n’est pas loin d’avoir fait le plein dans ces catégories.

L’objectif est donc maintenant de faire flèche de tout bois, et d’aller gratter des voix ailleurs. S’il parvient à passer dans l’électorat issu de l’immigration, ou chez les enseignants, de moins de 5 % à 10 % ou 15 %, cela peut représenter une marge de progression non négligeable au niveau global. C’est une stratégie de conquête méthodique pour élargir son assise et gagner des électeurs dans les milieux aujourd’hui les plus réfractaires.