Le président ouzbek, Islam Karimov, à Tachkent, en mars 2015. | STR / AP

Islam Karimov, ancien apparatchik soviétique parvenu, deux ans avant la chute de l’URSS, à la tête de l’Ouzbékistan, pays d’Asie centrale de plus de 30 millions d’habitants, avait été réélu sans discontinuer président de cette république musulmane depuis son indépendance acquise en août 1991. Avec plus de 90 % des suffrages, son quatrième mandat avait débuté le 29 mars, au terme d’une élection factice durant laquelle, comme les fois précédentes, ses prétendus rivaux n’ont été que des faire-valoir.

Il en fallait beaucoup pour intimider Islam Karimov, habitué à régner d’une main de fer et à écarter la moindre voix discordante. Qui d’autre se serait permis de faire une réflexion sur les retards légendaires de Vladimir Poutine ? Recevant le chef de l’Etat russe le 26 juin dans son palais à Tachkent – la dernière entrevue entre les deux hommes –, le dirigeant ouzbek avait lancé, droit dans les yeux de son interlocuteur : « Tout le monde sait que vous êtes souvent en retard. Aujourd’hui, vous êtes arrivé presque à l’heure. Quand je vois cela, je me dis que c’est le signe que M. Poutine s’est fixé l’objectif de parvenir à un résultat aujourd’hui et demain… » Pendant ces deux jours durant lesquels était organisée une réunion de l’Organisation de coopération de Shanghaï dans la capitale ouzbèke, ses habitants avaient reçu l’ordre de rester confinés chez eux, y compris les écoliers.

Répression implacable

Né à Samarcande, l’une des plus anciennes et plus belles cités sur la Route de la soie, l’unique président ouzbek à ce jour est le fils de parents fonctionnaires, selon sa biographie officielle, mais aurait été élevé dans un orphelinat, selon une autre version. Devenu ingénieur en machines-outils et économiste après des études supérieures effectuées à Tachkent, en même temps qu’adhérent au Parti communiste (PC) de l’Union soviétique, il a gravi un à un tous les échelons dans l’appareil. Ministre des finances en 1983, sa carrière s’accélère à l’ombre du dernier dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev : Islam Karimov endosse le rôle de vice-premier ministre d’Ouzbékistan en 1986, puis celui du premier secrétaire du PC ouzbek en 1989. Il enchaînera avec la période de transition en 1990-1991, puis les premières élections présidentielles remportées avec plus de 86 % des voix en décembre 1991.

Plus de 12 000 prisonniers politiques étaient encore recensés en 2015 par les organisations de défense des droits humains

Très vite, le régime d’Islam Karimov s’est posé en rempart contre l’islamisme radical, ce qui lui a permis de mener une implacable répression contre toute forme d’opposition. Le 13 mai 2005, plusieurs centaines de manifestants réunis à Andijan, dans la vallée de Ferghana, dans l’est du pays, ont été tués à la mitrailleuse lourde par les forces de sécurité. Dix ans après ce massacre, « malgré les nombreux appels en faveur d’une enquête indépendante, les autorités ouzbèkes continuent d’affirmer que la question est close », rapporte Human Rights Watch dans son dernier rapport, publié le 5 janvier.

Plus de 12 000 prisonniers politiques étaient encore recensés en 2015 par les organisations de défense des droits humains, la plupart sous de vagues accusations « d’extrémisme » ou d’activité « anticonstitutionnelle ». Cela n’a pas empêché l’Union européenne de lever en 2009 les sanctions prises à l’encontre de l’Ouzbékistan après les événements d’Andijan, ni même les Etats-Unis de maintenir de bonnes relations avec ce pays, bordé par l’Afghanistan au sud.

Position stratégique

Islam Karimov a su habilement exploiter cette position stratégique en offrant, cette année-là, de précieux réseaux routiers d’approvisionnement aux forces armées américaines et de l’OTAN, engagées dans la lutte contre les talibans. Deux ans plus tard, malgré les vives protestations des ONG de défense des droits de l’homme, il était reçu en janvier 2011 à Bruxelles par José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, et Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’OTAN.

Sûr de lui, le dirigeant ouzbek pouvait se permettre, aussi, de résister aux pressions de Moscou. Le maître de Tachkent n’a ainsi jamais rejoint l’Union économique eurasiatique chère à Vladimir Poutine, au contraire de son grand voisin, le Kazakhstan. « Le pays ne rentrera jamais dans une union qui ressemble à l’URSS », avait-il déclaré le 12 janvier 2015.

Le pouvoir sans partage d’Islam Karimov, marié à une économiste, s’est parfois manifesté au sein de sa propre famille. Sa fille aînée, Goulnora Karimova, diplômée de Harvard, à qui l’on a longtemps prêté l’intention de succéder à son père, aurait été assignée à résidence après avoir critiqué ses proches. Ex-ambassadrice auprès de l’ONU mais surtout redoutable femme d’affaires, impliquée dans plusieurs affaires de corruption, la bouillonnante « Googoosha », est tombée en disgrâce.