Après l’annonce de la décision de la Commission européenne, qui a ordonné à Apple de payer plus de 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôt à l’Etat irlandais, l’entreprise a fait valoir une série d’arguments. Dans une longue lettre ouverte publiée par son PDG, Tim Cook, mais aussi lors d’une conférence de presse téléphonique de son directeur financier, Luca Maestri, Apple a assuré être l’entreprise qui paie « le plus de taxes en Irlande, aux Etats-Unis et dans le monde ». Une affirmation qui mérite d’être nuancée.

Apple est-elle l’entreprise qui paye le plus d’impôt au monde ?

Oui, mais…

Sur ce point, M. Maestri a raison : pour l’année 2015, Apple arrive en tête de la liste des sociétés mères ayant versé le plus d’impôt dans le monde – l’équivalent de plus de 15,6 milliards d’euros tous pays confondus. Soit trois fois plus que son rival Microsoft, sept fois plus que Google, deux fois plus que la banque Wells Fargo, ou trois fois plus que le groupe pétrolier Exxon Mobil.

Mais cette présentation masque deux informations importantes. Depuis 2015, Apple ne bénéficie plus de l’accord fiscal épinglé par la Commission européenne, ce qui a mécaniquement fait augmenter ses impôts. Surtout, cette place de leader est aussi liée à la conjoncture. Traditionnellement, ce sont les grands groupes pétroliers américains qui sont les principaux contribuables mondiaux. Or, la chute des cours du pétrole a mécaniquement fait baisser leurs bénéfices… et donc leurs impôts. En 2014, Exxon a ainsi payé 4 milliards d’euros d’impôt de plus qu’Apple, et en 2011, le groupe pétrolier avait versé la somme record de 25 milliards d’euros.

En revanche, dans le secteur des nouvelles technologies – où les pratiques d’optimisation fiscale sont courantes – Apple est bien le « premier contribuable », loin devant des sociétés comme Google ou IBM.

Est-elle aussi le plus grand contribuable irlandais ?

C’est peu probable

Cette affirmation de M. Maestri est complexe à vérifier : Apple ne dévoile pas systématiquement le montant des impôts qu’elle a acquittés en Irlande chaque année. Cette semaine, elle a expliqué, à titre d’exemple, avoir payé 356 millions d’impôt au fisc irlandais en 2014 – près du double de ce qu’a versé Microsoft Irlande.

Pour l’année 2015, Apple n’a pas communiqué la somme payée – elle a vraisemblablement largement augmenté, en raison de l’augmentation du bénéfice de l’entreprise et de la restructuration de ses filiales irlandaises qui a fait « tomber » l’accord précédent avec le fisc irlandais. Mais 2015 a plus généralement été une bonne année pour le fisc irlandais : le groupe Medtronic (technologie médicale et services) lui a versé 712 millions d’euros, et la banque AIB, 534 millions d’euros.

Surtout, si Apple a payé des sommes importantes en 2014, l’entreprise a longtemps été un contribuable poids plume – et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission européenne s’est penchée sur ses comptes. En 2011 par exemple, le groupe a versé au fisc irlandais une somme estimée entre 2 millions et 20 millions d’euros, selon l’enquête de la Commission (PDF).

Pourquoi la comparaison a peu de sens

L’argument présenté par Apple est largement sans rapport avec les conclusions de la Commission européenne. Cette dernière ne reproche pas à Apple de ne pas payer assez d’impôts dans l’absolu, mais d’avoir bénéficié d’un traitement de faveur de la part du fisc irlandais. Par ailleurs, l’enquête ne portait pas sur les impôts payés en 2015 par l’entreprise, mais sur ceux versés auparavant – ce qui est aussi l’un des points que conteste Apple, qui dénonce une sanction rétroactive et à ses yeux illégale.

Surtout, la question que pose la Commission n’est pas tant le montant total versé – qui dépend aussi des bénéfices réalisés par l’entreprise – mais celle du taux d’imposition effectif. Alors que le taux de l’impôt sur les bénéfices est théoriquement de 12,5 % en Irlande, la Commission européenne estime que pendant plusieurs années, le taux effectif payé par Apple en Irlande était de 0,005 %.

Enfin, Apple, dans sa défense, explique aussi que les sommes payées en Irlande ne représentent qu’une partie de son imposition, puisqu’elle paye aussi des taxes aux Etats-Unis sur ces mêmes bénéfices. L’argument est là aussi discutable : Apple dispose d’un gigantesque trésor de guerre de plus de 200 milliards d’euros, dont l’entreprise s’est bien gardée de rapatrier la plus grande partie aux Etats-Unis, justement pour éviter de devoir payer des impôts dessus. Comme d’autres grands groupes, Apple semble attendre une baisse du taux d’imposition pour transférer ces fonds aux Etats-Unis.