Par Patrick Zelnik, fondateur de Naïve

Le 24 août, le tribunal de commerce de Paris a décidé de confier à la société française de distribution numérique Believe la reprise de l’activité de production et d’édition musicale du label Naïve. Un appel d’offres avait été lancé après le placement en redressement judiciaire de Naïve, le 9 juin.

Sur la porte de mon bureau, j’ai apposé un très beau portrait de Beethoven qui déclare : « Ça leur plaira bien un jour. » Mon ambition, pour Naïve, c’était, par une grande rigueur éditoriale, d’éditer et de produire des œuvres dont le commun dénominateur était l’émotion qu’elles me procuraient et de peut-être la partager avec le public. Réaliser mon rêve : produire tous les genres de musique, variété française « chic », pop, rock, classique, jazz…

C’était aussi éditer des livres, produire des images. Naïve est ainsi devenu, en quelques années, le symbole de la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde. En tant que fondateur et ex-président, j’assume pleinement l’échec financier, douloureux pour les cofondateurs qui m’ont fait confiance, les salariés qui ont perdu leur emploi et les artistes qui ont souffert de la disette financière.

Modèle dépassé

J’ai moi-même investi 5,9 millions d’euros dans la société. Je perds tout, certes, mais j’ai beaucoup appris. J’ai aussi rencontré, produit, accompagné des artistes exceptionnels. La défaillance de Naïve n’est imputable ni à la crise du CD, ni à la piraterie sur Internet. Elle est due à la difficulté, voire à l’impossibilité de financer un développement culturel durable. La qualité est subjective, la pérennité s’impose à tous. Naïve demeure une réussite culturelle, malgré l’échec financier.

La dimension culturelle et patrimoniale de Naïve, propriétaire de 1 500 « masters » et forte d’un catalogue de 3 000 références, explique l’intérêt de Believe pour Naïve. Believe est un « agrégateur » sur Internet qui joue un rôle d’intermédiaire entre les artistes, les producteurs et les plates-formes numériques : iTunes, Spotify, Deezer, Quobuz.

L’acquisition de Naïve par Believe est intéressante à plusieurs titres. Elle montre bien que Naïve, né en 1998, avant même le plein essor d’Internet, en continuant d’investir pour produire et distribuer des CD, évoluait dans un modèle économique dépassé.

Mais parallèlement, les agrégateurs sur Internet (Believe, The Orchard, Idol, c’est-à-dire les distributeurs numériques) ont développé un nouveau métier qui consiste à numériser et à cataloguer la musique pour l’adapter aux normes des plates-formes de vente et d’écoute en ligne, telles qu’iTunes et Spotify. Believe et les autres acteurs du secteur ont maintenant compris qu’ils ne pourraient pas survivre en ignorant le monde réel et traditionnel.

Créer des passerelles

Derrière chaque référence, un artiste, un producteur pour identifier les nouveaux talents, les développer, en assurer la promotion et le marketing. Il y a parfaite complémentarité entre le savoir-faire de Believe et de Naïve. Mais ce sont des cultures d’entreprise différentes, et il faut souhaiter que Believe financera les investissements nécessaires au développement de Naïve, dans un environnement court-termiste.

L’enjeu véritable, c’est celui du futur de la musique et de l’ensemble des contenus sur Internet. Le modèle économique du streaming, dont les majors affirment qu’il permettra de développer le marché mondial de la musique, n’est pas satisfaisant.

Les plates-formes numériques, les géants de l’Internet, ont traité la musique de la même manière que l’hyperdistribution dans les années 1980, comme un produit d’appel. Pour 10 euros, on peut acheter un album sur iTunes mais on peut également, pour la même somme, souscrire un abonnement à Spotify, qui propose des millions de titres.

On ne voit guère, dans ces conditions, comment le téléchargement payant pourrait survivre. Après avoir promis la gratuité pendant des années, les médias, notamment la presse, multiplient les sites « premium ». Les producteurs de musique, terrifiés par la piraterie, ont accepté des modèles économiques qui n’assurent pas le financement de la création sur Internet.

Face aux GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), je propose la création d’une association qui portera le nom de Respect et représentera les droits des producteurs et des artistes, dans tous les domaines de la création. Il ne faut pas non plus éluder le phénomène de la concentration, qui marginalise les PME et les TPE indépendantes.

Il y avait six majors en 1990, il en reste trois, lesquelles représentent au moins 80 % du marché, physique comme numérique. Réguler la concentration, c’est donner une chance à l’égalité des chances. Je ne suis pas pessimiste car je continue de penser qu’Internet est plus une opportunité qu’une menace. C’est peut-être l’occasion de créer des passerelles entre les différentes sources de la création : musique, livre, cinéma, média mais aussi mode, artisanat, architecture, etc. L’enjeu est clair : la création au service d’Internet ou Internet au service de la création.

Fondateur de Naïve, ex-président de Virgin France et de Virgin Megastore, Patrick Zelnik a cofondé en 2000 IMPALA, le syndicat européen des producteurs de disques indépendants.