A sa sortie en 2000, Deus Ex ne ressemblait à rien de connu : voilà un jeu de tir imaginé par un type qui n’aime pas les armes, moins préoccupé par les scènes d’action que par l’immersion. En fait, idéalement, dans un jeu de Warren Spector (le dangereux pacifiste en question), on ne tire même pas un seul coup de feu. A l’époque, c’était révolutionnaire : le premier jeu de tir à oser tordre avec autant d’audace (et de succès) les règles du genre. Aujourd’hui, tout le monde fait ça. Deus Ex a gagné la guerre. Mais est-ce que le roi ne ronflerait pas un peu sur son trône ?

[FR] Deus Ex: Mankind Divided - Trailer de Lancement
Durée : 01:32

Nous sommes en 2029, et le moral des ménages n’est pas au beau fixe. Au départ, tout allait pourtant bien : la science et la médecine, main dans la main, ont réussi à greffer des yeux flambant neufs aux malvoyants, des jambes artificielles aux handicapés. Tout allait bien donc, jusqu’à ce qu’on se rende compte que ces membres artificiels étaient plus efficaces que les vrais, propulsant ces organes « augmentés » au rang de dernier gadget à la mode, aux côtés de l’iPhone et de l’aspirateur de table.

Sauf qu’un iPhone, tout comme une augmentation, ça a des failles de sécurité. Des failles que de violents activistes ont hacké pour retourner, le temps de la scène de panique la plus meurtrière de l’humanité, les augmentés contre les humains présumés « purs ». Le scénario frôle le grotesque, la métaphore est un peu grossière, mais l’idée, derrière, c’est évidemment de tracer un parallèle entre notre société bien réelle et celle de ces augmentés bientôt ghettoïsés, déplacés, discriminés, obligés de trouver refuge dans des utopies en forme de réserves. Le décor est planté.

Deus Ex : Mankind Divided | Captures promotionnelles

Coffres cachés et e-mails croustillants

C’est là que vous intervenez. Adam Jensen, la barbe bien taillée et les augmentations impeccablement lustrées, est un ancien agent de sécurité qui travaille désormais pour Interpol. Sa mission : enquêter, à Prague, sur une série d’attentats apparemment perpétrée par des augmentés radicalisés. Comme d’habitude dans Deus Ex, tout est dans le « apparemment ». Et comme dans Deus Ex, finalement, tout ça n’a pas grande importance. Mankind Divided est pensé comme un bac à sable. Bien sûr, il y a une histoire, mais qui ça intéresse, les histoires, quand il est possible d’entrer dans le moindre appartement, à la recherche de coffres dissimulés derrière des tableaux, d’e-mails croustillants cachés dans des PC protégés par de redoutables codes de sécurité à quatre chiffres ?

Parce que dans Deus Ex, tout nous incite à faire profil bas. A nous cacher plutôt qu’à tirer, à assommer plutôt qu’à tuer. Ici, les portes ne s’enfoncent pas : elles se piratent. A moins que vous n’ayez intercepté un e-mail, un pense-bête ou une conversation dévoilant le code qui permet de l’ouvrir. Les ennemis s’évitent plus qu’ils ne s’affrontent, en passant par les toits, les canalisations, ou en utilisant vos différentes augmentations. Invisibilité, atténuateur de bruits de pas, force décuplée : elles se déverrouillent au fur et à mesure de l’aventure, et permettent de s’attaquer à des défis toujours plus relevés. Et puis, bien sûr, il y a toujours la possibilité de sortir son arme et d’y aller frontalement. Mais autant relancer Call of Duty.

Deus Ex : Mankind Divided | Captures promotionnelles

Témoin d’une époque

Quand il se contente de nous confronter à ses mécaniques de jeu, un peu datées (le français Dishonored est passé par là) mais toujours efficaces et réjouissantes, Deus Ex : Mankind Divided remplit parfaitement son office. C’est quand il tente de nous intéresser à ces histoires d’Illuminati, qu’il nous fait quitter Prague pour aller démêler les grosses ficelles d’un vaste complot mondial, que Deus Ex se perd un peu. Sans parler d’un Adam Jensen, hier quasi messianique, aujourd’hui totalement apathique, qui semble errer dans cette suite comme s’il avait oublié de sortir de scène après le générique de fin de l’épisode précédent.

Au-delà de ça, ce qui déçoit, c’est l’incapacité de Deus Ex à réfléchir ce qu’il raconte. Bien sûr, c’est le cas de l’immense majorité des blockbusters, mais le constat est plus déprimant quand on s’appelle Deus Ex et que l’on s’inscrit dans l’héritage d’un jeu fondateur qui, dès 2000, annonçait pêle-mêle la parano ambiante post 11-Septembre, la psychose terroriste, Occupy Wall Street, le programme de Bernie Sanders et diverses problématiques transhumanistes. Deus Ex Mankind Divided, lui, se refuse à nous parler de demain pour mieux nous décrire l’aujourd’hui. Les augmentés reclus dans des ghettos, les contrôles au faciès, les affiches « Augmented lifes matter » dans le métro… Evidemment, tout cela fait écho à l’actualité. Si Mankind Divided reste, ce sera, au mieux, comme un témoin de son époque davantage que comme une œuvre prémonitoire. Au pire, comme un bon jeu. Il y a pire destin.

En bref

On a aimé :

  • La liberté d’approche étourdissante
  • Retrouver une série culte qu’on a eu peur de perdre
  • La direction artistique toujours aussi maîtrisée

On n’a pas aimé :

  • Adam Jensen au bout du rouleau
  • Un jeu qui brasse des thèmes passionnants et n’en fait rien
  • La VF très inégale et les dialogues assez médiocres

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous avez aimé Deus Ex : Human Revolution
  • Les héros à grosse voix vous donnent des frissons
  • Vous avez toujours rêvé de voir Prague sous la pluie

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous avez aimé Deus Ex : Human Revolution mais que l’idée de refaire quasiment le même jeu ne vous réjouit pas plus que ça
  • Ramper dans des canalisations réveille votre claustrophobie
  • Vous n’en pouvez plus des théories du complot (et des mini-jeux de piratage)

La note de Pixels :

3 membres bioniques sur 4.