En Iran, les élections législatives et de l’Assemblée des experts, se sont déroulées vendredi 26 février. Dans ce pays, l’application Telegram a pris une place considérable. Ce service d’échange de messages sécurisé à deux ou en groupe, où chacun peut ouvrir une « chaîne » de publication ouverte au public, n’est pas filtré par les autorités, contrairement à Twitter ou à Facebook. Les quelque 40 % d’Iraniens ayant accès à Internet peuvent y suivre et commenter la campagne avec une liberté inconnue des médias d’Etat, dans un mélange d’information et de rumeur difficile à démêler.

Selon une étude faite en décembre 2015 par le Centre de sondage des étudiants iraniens (ISPA), environ 20 millions de personnes disposent d’un compte sur Telegram dans le pays, soit près d’un quart de la population. Tous les sites politiques, une large partie du gouvernement, comme des figures conservatrices, y ont ouvert une chaîne publique. Les candidats méconnus y trouvent un outil de campagne peu coûteux. Le bureau du Guide suprême, l’ayatollah Khamenei, y partage avec ses 225 000 abonnés de courts extraits vidéo de ses discours ou des communiqués – tout comme sur Twitter, malgré l’interdiction du réseau.

Telegram a construit son succès sur sa réputation : celle d’être un service sûr, qui permet de discuter à l’abri des oreilles indiscrètes en chiffrant les messages. Elle a pris la place, dans les téléphones des Iraniens, d’une autre application, Viber.

Une activiste londonienne ciblée

Les autorités n’ont pas tardé à réagir. Des politiques et des religieux ont critiqué l’application, l’accusant de propager des contenus « immoraux », et menaçant de la bloquer. Une tentative lancée le 5 janvier, par la Commission de détermination des cas de contenus criminels – elle décide des sites à bloquer – a échoué, faute d’un nombre suffisant de voix. Ses membres, nommés par le gouvernement, l’autorité judiciaire et des institutions proches de Ali Khamenei, ont l’application dans le viseur. Le 19 novembre 2015, cette commission tenait une réunion au sujet de Telegram et a décidé d’accorder un délai au ministère des télécommunications pour régler le problème des contenus « immoraux » présents dans l’application. « Si Telegram ne prend pas, à court terme, des mesures pour appliquer nos lois, nous devrons la filtrer », a indiqué son secrétaire, Abdul Samad Khorram Abadi.

A l’automne 2015, les Iraniens ont d’ailleurs cru que la censure avait repris ses droits. Le 20 octobre, l’application était devenue très lente. Deux jours plus tôt, le fondateur et dirigeant russe de Telegram, Pavel Durov, avait indiqué sur Twitter avoir été contacté par les autorités iraniennes, lui demandant de mettre en place des mécanismes de surveillance et de censure. Une demande qu’il a refusée tout net.

Mais une semaine plus tard, le ministre des télécommunications iranien, Mahmoud Vaezi, expliquait lors d’une conférence de presse avec son homologue russe que la « ligne rouge, c’est le respect des questions éthiques. Nous avons averti Telegram, et ils ont filtré les contenus immoraux ». M. Vaezi a attribué les lenteurs de l’application à des problèmes sur les câbles sous-marins connectant l’Iran à Internet. Le 13 janvier, il a indiqué que « Telegram avait donné son accord pour bloquer tous [les comptes publics] désignés par le ministère des communications ».

Le pouvoir iranien a-t-il réussi à mettre la main sur Telegram ? Non, a assuré M. Durov. Il explique que sur Telegram, seuls les comptes publics sont soumis à un contrôle, qui ne concerne que la pornographie et le terrorisme, une thématique sensible : l’application est populaire chez les combattants de l’organisation Etat islamique. Telegram n’a que récemment pris des mesures pour perturber cette utilisation, en fermant de nombreux comptes appartenant au groupe djihadiste.

Surtout, M. Durov a expliqué n’avoir jamais bloqué de contenu politique ni passé d’accord avec quelque gouvernement que ce soit. Pas suffisant pour dissiper les inquiétudes sur les relations entre Telegram et les autorités. « Beaucoup s’inquiètent d’une possible collaboration entre Telegram et Téhéran pour la censure », dit Nariman Gharib, responsable de la chaîne de télévision Manoto, installée à Londres et bannie comme toute chaîne satellitaire en Iran.

Le pouvoir iranien dispose-t-il d’une porte dérobée lui permettant de pirater l’application ? Peu probable : les autorités semblent recourir à d’autres techniques pour parvenir à leurs fins. Lors d’une arrestation, la police a confisqué un ordinateur portable et un téléphone sur lesquels était installé Telegram. Ils ont inspecté les contacts, repéré une activiste installée à Londres, avec laquelle ils ont conversé, se faisant passer, avec succès, pour la personne arrêtée. Pour prendre le contrôle du compte Telegram de l’activiste, les autorités ont demandé une réinitialisation de son mot de passe, la convainquant de leur fournir ce nouveau code, au prétexte de l’ajouter à une discussion de groupe. Le stratagème a fonctionné. La police a tenté de répliquer cette méthode aux contacts de l’activiste. Mais elle a réussi à reprendre le contrôle de son compte qui aura été, pendant deux heures, aux mains des autorités. Ce scénario semble indiquer que ces dernières ne disposent pas de moyens techniques pour pénétrer à l’intérieur de l’application.

Début novembre 2015, l’agence semi-officielle Fars News, proche des gardiens de la révolution, indiquait que 170 personnes avaient déjà été arrêtées pour avoir partagé des contenus « immoraux », notamment sur Telegram. Sur les huit derniers mois de 2015, 609 hommes et 114 femmes ont été arrêtés pour des crimes « économiques, moraux et sociaux » commis sur Internet, selon des chiffres officiels cités par l’AFP.