Pouvait-on être plus dans l’ère du temps que le jeu vidéo Myst au début des années 1990 ? Décors en 3D, personnages en vidéo, stockage sur CD-ROM, interface à la souris : ce classique du jeu d’aventure à énigmes incarnait à lui seul la modernité de cette décennie balbutiante. Il l’incarnait tellement bien qu’il ne lui a survécu que le temps d’une suite tout aussi culte (Riven) avant de s’enfoncer progressivement dans l’oubli.

Myst part 3
Durée : 06:45

Heureusement pour eux, il est un royaume en lequel les développeurs quinquagénaires ont tous le droit à une seconde chance : il s’appelle Kickstarter, la plate-forme qui permet à tout un chacun de faire financer ses rêves les plus fous par ses fans les plus dispendieux. Il y a trois ans, les frères Miller, fondateurs du studio américain Cyan et développeurs de Myst, recueillaient ainsi 1,3 million de dollars sur la foi d’une promesse : celle de ressusciter l’esprit de Myst. Le 24 août, cette suite spirituelle, Obduction, est enfin sortie.

Obduction Teaser Trailer
Durée : 01:46

Arraché à sa terre natale à la faveur d’une rencontre avec une sorte de gland astral, le joueur se retrouve projeté sur une planète extraterrestre. Là, dans une bulle au cœur de laquelle pousse un arbre probablement centenaire, s’étale un bien étrange et très abandonné village humain. Qu’est-ce que ces habitations bien de chez nous font perdues si loin de chez elles ? Et comment le joueur s’est-il retrouvé là ? Deux questions qui, à vrai dire, vous obséderont bientôt moins que les énigmes dont Myst s’était fait une spécialité et qu’Obduction reprend à son compte. Car c’est bien là le problème d’Obduction. Pur produit Kickstarter, il donne aux fans ce qu’ils voulaient : un jeu de 1993, mais en 2016. Et tant pis si, un quart de siècle plus tard, la proposition montre quelques limites.

Le fils trop légitime

On ne peut pourtant pas reprocher aux développeurs d’y mettre de la mauvaise volonté. Obduction parvient brillamment à capturer la magie onirique et bizarre, familière et extraterrestre, des environnements de la série. Chaque paysage est un fond d’écran potentiel, chaque rencontre l’occasion un peu émouvante d’être confronté à un personnage en vidéo incrusté dans un décor en 3D, procédé au kitsch délicieusement assumé. Et, tout comme Myst, Obduction nous fait voyager : rapidement, on rompt la bulle qui nous sert de prison. Les environnements commencent alors à s’interpénétrer, à se décloisonner, tandis qu’on découvre des paysages d’autres planètes, eux aussi contenus sous d’improbables dômes comme autant de monumentales boules à neige.

D’Obduction transpire ainsi un amour des géographies contrariées, des paysages enchevêtrés, qui évoquent The Witness de Jonathan Blow, sorti en janvier. Sauf que là où cet autre vibrant hommage à Myst brillait par sa densité, Obduction peine à faire autre chose de ses paysages que des randonnées éprouvantes.

Obduction | Captures promotionnelles

Façon mont Ventoux

C’est le principal souci d’Obduction : son étrange courbe de progression, façon mont Ventoux. Si le début est plutôt aimable (on cherche des interrupteurs, on décrypte des codes humainement compréhensibles), le jeu bascule au milieu de l’aventure du côté de l’abstraction la plus totale. Les énigmes qui demandent de reproduire, sur une grille, une graphie extraterrestre totalement inédite ? C’est audacieux. Ambitieux. Courageux même. Mais modérément amusant.

Et bientôt, on ne réfléchit plus : on tâtonne. Ce qui n’est pas gênant dans The Witness, jeu riche et gratifiant, devient soudain extrêmement laborieux dans Obduction, avec ses environnements sans vie et ses temps de chargement à rallonge. Au point de gâcher sa dimension contemplative bien réelle. Comme Myst, c’est un jeu dans lequel on va patienter, se perdre, et, peut-être, perdre patience. En 1993, quand on n’avait qu’un jeu d’installé sur son Mac, et seulement quelques amis pour nous filer un coup de main, c’était supportable. A l’heure où la solution du jeu se trouve sur Internet à trois clics de là et où la concurrence est aussi féroce, traiter le joueur avec aussi peu de considération paraît inutilement cruel.

Captures promotionnelles

On lit bien dans l’intention des auteurs la tentation de réinventer Myst en expérience un peu masochiste, exigeante, d’en faire le « Dark Souls du jeu d’aventure », sorte d’équivalent contemplatif au plus punitif des jeux de rôle. Sauf que Dark Souls manie le bâton aussi bien que la carotte, là où Obduction, en dehors de quelques raccourcis à débloquer, peine à récompenser son joueur, à lui donner l’impression de progresser dans l’aventure.

Peut-on être plus dans l’ère du temps qu’Obduction en 2016 ? Oui, certainement : en s’appelant The Witness. Et en proposant une réinvention réellement pertinente du mythe Myst, en interrogeant, par exemple, l’intelligence du joueur plutôt que sa patience.

En bref

On a aimé :

  • C’est beau comme Myst
  • C’est fidèle à l’esprit de Myst
  • Ce sont les créateurs de Myst

On n’a pas aimé :

  • Ça n’est pas aussi malin que The Witness
  • La difficulté est moins bien gérée que dans The Witness
  • Ça n’a absolument rien à voir avec le film Witness

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous étiez de toute façon déjà dépendant à l’aspirine
  • Vous avez envie de vous faire un jeu rétro avec des graphismes d’aujourd’hui
  • Vous pensez qu’on n’a rien fait de mieux depuis 1993 (et que vous appelez d’ailleurs de vos vœux un come-back de Jordy)

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous avez du mal à admettre que 3 + 3 = 12
  • Vous vous êtes perdu dans un labyrinthe de maïs cet été
  • Vous avez un PC un peu souffreteux

La note de Pixels :

1/3 en base quatre | Lemonde.fr