Muriel Beyer, directrice éditoriale chez Plon. | Frédéric Monceau

Naguère, Muriel Beyer, de son fastueux bureau chez Plon, avait une vue panoramique sur la place Saint-Sulpice, au cœur du Paris chic et intello. Rien de tel pour vous poser une éditrice vedette, fière de son carnet d’adresses épais comme le Bottin mondain. Las, il y a trois ans, Plon, qui appartient à Editis, a déménagé. Sa directrice éditoriale peine manifestement à s’en remettre. « Regardez, maintenant, on a vue sur l’immeuble de la Stasi », pointe-t-elle à travers la fenêtre, accompagnant le geste d’un soupir.

Ledit bâtiment n’est en réalité qu’une grande barre sans charme de l’avenue d’Italie, dans le plus excentré 13e arrondissement de la capitale. L’on a connu plus rude exil, mais les temps changent. L’heure n’est plus, dans l’édition, à la dolce vita, aux à-valoir dorés sur tranche et aux notes de frais à rallonge. Dans cette grisaille, toutes les bonnes nouvelles sont donc les bienvenues. Le baromètre personnel de Muriel Beyer, en cette rentrée, est subitement repassé au beau fixe. Une rumeur insistante la donne bientôt partante de chez Plon pour une nouvelle aventure.

« Il faut distinguer deux types d’ouvrages. Il y a ceux qui s’inscrivent vraiment dans le calendrier politique et ceux qui sont écrits par des personnalités qui ont tourné la page et peuvent vider leur sac. » Muriel Beyer

Et en attendant, quand elle se désespère de la vue, elle peut se consoler en regardant le classement des meilleures ventes de livres. Son dernier bébé, le nouvel opus de Nicolas Sarkozy, Tout pour la France, s’est installé en tête du classement, tous types d’ouvrages confondus. Selon les chiffres de l’institut GfK, cet ouvrage qu’elle a couvé dans le plus grand secret s’est vendu à 51 000 exemplaires dans les dix jours suivant sa sortie, le 23 août, à la bagarre avec… le Bescherelle. C’est une sorte de petit miracle : les politiques, en dépit du discrédit de la profession, restent un bon filon pour les éditeurs.

A l’approche de la présidentielle, tout au moins. En un an, François Fillon (Faire, Albin Michel), Philippe de Villiers (Le Moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel), et Nicolas Sarkozy (La France pour la vie, Plon), déjà, se sont taillé de beaux succès de librairie. Muriel Beyer est, avec Alexandre Wickham, directeur éditorial d’Albin Michel, la reine de ce petit artisanat, qui mêle savoir-faire d’édition et communication politique. A 64 ans, elle maîtrise la recette : publier le bon auteur au bon moment. « Il faut distinguer deux types d’ouvrages, précise cependant Muriel Beyer. Il y a ceux qui s’inscrivent vraiment dans le calendrier politique et ceux qui sont écrits par des personnalités qui ont tourné la page et peuvent vider leur sac. C’est le cas du livre de Philippe de Villiers. Il est informé et a une totale liberté de parole. Cela suscite de la curiosité. » Le dernier livre de Jean-Louis Debré (Ce que je ne pouvais pas dire, chez Robert Laffont), est de cette même veine.

Nicolas Sarkozy dédicace son livre  « Tout pour la France », en tête du classement des meilleures ventes éditoriales, tous types d’ouvrages. | Jacques Witt

Muriel Beyer a fait ses débuts à Marseille, à la fin des années 1970. Elle s’occupait alors de la communication du Parc des expositions de la Ville. « Je ne connaissais pas un rat, pas un auteur, pas un journaliste », s’amuse-t-elle. Une rencontre de hasard avec l’académicien Jean Dutourd change le cours de sa vie. Il conseille à Charles-Henri Flammarion d’embaucher cette jeune femme qu’il trouve pétillante. Pendant des années, elle dirige le service de presse chez Flammarion, maison alors tenue de main de maître par Françoise Verny. Ce n’est qu’en 1997, en rejoignant Plon, qu’elle devient éditrice. Olivier Orban, lui donne alors sa chance. « Avec Françoise Verny, elle a appris l’importance de la relation à l’auteur. Elle sait leur donner confiance et leur transmettre de l’envie », précise l’ex-PDG de Plon.

De Bayrou à Mélenchon

Dotée d’un solide réseau dans les médias, Muriel Beyer sait alors l’élargir. Sa proximité avec l’ex-banquier Jean Peyrelevade lui ouvre les portes du club Le Siècle, où il fait bon fureter pour dénicher auteurs ou idées. Elle s’installe dans ce monde où lorsque l’on petit-déjeune, déjeune ou dîne, l’important n’est pas le contenu de l’assiette, mais la personne assise de l’autre côté de la table.

Son « écurie » politique n’est pas sectaire. Son premier auteur fut François Bayrou, qui lui est toujours fidèle. Elle fait aussi affaire, depuis peu, avec Jean-Luc Mélenchon, dont elle a édité en 2015 Le Hareng de Bismarck. Nicolas Sarkozy n’est tombé dans son escarcelle que récemment. Le départ de Bernard Fixot pour les Etats-Unis a privé l’ancien président de son éditeur historique. Muriel Beyer s’est positionnée, en lui rendant visite à plusieurs reprises, après sa défaite de 2012. « Elle a su l’attraper quand il était prenable. Elle excelle, dans ce genre de choses. On lui reproche parfois de n’être qu’une éditrice de coups. C’est vrai. Mais c’est son travail chez Plon », s’amuse Olivier Orban.

Muriel Beyer assure que Nicolas Sarkozy écrit lui-même ses livres, au stylo, sur des feuilles A4. Faut-il la croire ? Pas forcément. Pour Tout pour la France, elle a tenu le secret, en démentant si besoin la main sur le cœur qu’un ouvrage était en préparation… Dans le petit monde souvent cruel de l’édition, elle a la réputation d’avoir du culot et de savoir composer avec la vérité. Son CV dans le Who’s Who fait ainsi mention d’un diplôme d’agrégée en lettres classiques. Nous n’en avons pas trouvé trace dans les archives. Une vieille et innocente méprise, nous a-t-elle plus tard affirmé. « J’ai réussi l’écrit mais je n’ai pas passé l’oral. Ça m’embête, j’ai essayé plusieurs fois de faire rectifier cette erreur. » Pas le jour où nous l’avions rencontrée, en tout cas. Elle avait revendiqué ce diplôme au cours de notre conversation.