Dans le milieu on appelle ça une « killer feature », une « fonctionnalité qui tue ». C’est LA bonne idée censée permettre à un jeu de s’élever au-dessus de la masse informe de la concurrence. Dans le cas d’Event[0], jeu vidéo sur PC sorti ce 14 septembre, il s’agit de l’intelligence artificielle (IA)Kaizen. Une IA qui est à la fois un outil (c’est le seul moyen d’interagir avec notre environnement), l’unique personnage secondaire et le principal enjeu scénaristique. Davantage que notre compagnon d’aventure, Kaizen est l’aventure.

Event[0] Launch Trailer 2016
Durée : 01:51

Event[0] se déroule dans un monde alternatif et rétrofuturiste, où l’exploration spatiale, ici précoce et bon marché, a permis dès les années 1980 d’envoyer des paquebots intersidéraux dériver au large de Jupiter. C’est dans un de ces vaisseaux que pénètre notre héros au début de l’aventure, Robinson à la dérive sur un radeau de l’espace. Il espère un temps avoir trouvé le salut, avant de s’apercevoir que l’équipage du Nautilus ne l’a pas attendu pour se laisser mourir. Seule l’IA du vaisseau, Kaizen donc, est là pour l’accueillir. Revenir sur Terre ? Il suffit de demander. Mais évidemment, Kaizen aura, avant cela, un petit service à vous demander.

Une IA consciente d’elle-même ?

Kaizen connaît des milliers de mots, de phrases. Elle comprend tout ce qu’on dit, à condition d’insister un peu. Il paraît que notre façon de parler influence la fin du jeu. Que les réactions de l’IA auraient même étonné jusqu’aux développeurs du jeu. Comme si, de simple personnage virtuel, Kaizen avait accédé à une sorte d’état de conscience.

Autant le dire d’office, en réalité, l’intérêt de Kaizen ne réside pas tellement dans la souplesse de sa syntaxe ni dans le naturel de ses réponses. On peine parfois un peu à se faire comprendre, obligé de reformuler plusieurs fois une même question dans l’espoir d’obtenir une réponse satisfaisante. Pas tout à fait la promesse faite.

Votre capsule de survie hyper moderne, que vous allez devoir quitter pour embarquer dans un vaisseau aux allures de Minitel. | Ocelot Society

Mais ce n’est pas grave. Car l’exploit d’Event[0] ne réside pas tant dans la performance technique que dans sa capacité à suspendre notre crédulité, à brouiller la frontière entre le joueur et le jeu. En limitant les déplacements à deux clics (le gauche pour avancer, le droit pour reculer) et en faisant du clavier le vecteur de l’intégralité des interactions, Event[0] réussit là où des années de Wiimote ou de Kinect ont échoué.

Trop beau pour son propre bien

Voici un jeu où le personnage principal ne fait que marcher et taper au clavier : il ne tire pas, il ne se bat pas, il ne saute pas de plate-forme en plate-forme. En fait, il ne parle même pas. Il tape. Au clavier. Encore et encore. Et le joueur aussi.

Ce qui n’était qu’une bête limitation technique dans les jeux d’aventure du XXe siècle (on tapait des instructions au clavier faute d’interface graphique) devient ici un moyen extraordinairement fort de nous impliquer dans l’univers du jeu. Dès lors que le clavier du héros se confond avec celui du joueur, Event[0] n’est alors plus le dialogue entre deux personnages, mais celui d’un joueur en prise directe avec une intelligence artificielle. On aura rarement vu plus immersif.

D’autant plus qu’avec Event[0] le travail sur la modélisation de ce pseudo-futur à l’esthétique furieusement eighties est remarquable. L’ambiance, parfaite. La visite du vaisseau fantôme en compagnie de Kaizen est donc une expérience qui ne souffre que d’un seul véritable défaut : celui de se conclure après deux ou trois heures.

Des portes aux ascenseurs en passant par les archives du vaisseau, tout dans « Event[0] » se pilote via les terminaux Kaizen. | Ocelot Society

Un défaut qu’on n’aurait même pas relevé si Event[0] avait été un peu moche, un peu fauché. S’il avait plus clairement trahi ses origines de projet étudiant, finalisé par une équipe dont c’est le premier jeu. Parce qu’on pardonne beaucoup à ces jeux-là. Event[0], si modeste soit-il, est presque trop beau pour son propre bien. Trop ambitieux pour qu’on puisse sans regret le laisser filer après seulement une soirée. Mais, à peine fini, il donne pourtant envie de relancer une session, à la recherche de ses quatre fins différentes et du sens véritable de sa quête. Surtout, il donne envie de suivre, de près, le tout jeune studio français Ocelot Society.

L’avis de Pixels :

On a aimé :

  • La réinvention hyper moderne de la bonne vieille aventure textuelle.
  • L’ambiance entre Bioshock, 2001, l’Odyssée de l’espace, et les années Minitel.
  • Le niveau de finition d’un jeu monté par une si petite équipe.

On a moins aimé :

  • L’IA qui manque parfois de souplesse.
  • L’absence de version française à la sortie (on attend la VF pour la semaine prochaine).
  • Les temps de chargement un peu longs.

C’est pour vous si :

  • Vous trouvez que 20 euros pour faire la conversation à un terminal informatique, c’est pas cher payé.
  • Vous avez toujours voulu connaître les pensées les plus secrètes de votre micro-ondes.
  • Vous pensez que les années 1980, c’était quand même mieux avant.
  • Vous connaissez assez mal la grande banlieue de Jupiter, pourtant charmante en cette saison.

Ça n’est pas pour vous si :

  • Vous trouvez que 20 euros pour un jeu de trois heures, c’est un peu cher payé.
  • Vous préférez jouer que bavarder.
  • Vous n’avez pas de PC parce que, devinez quoi ? C’est un jeu exclusif au PC.

La note de Pixels :

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