C’est le scénario que redoutait tant la communauté internationale. Alors que la bataille contre l’organisation Etat islamique (EI) à Syrte n’est pas encore achevée, quatre mois après son déclenchement, le gouvernement d’union nationale de Faïez Sarraj basé à Tripoli est désormais engagé sur un nouveau front : le « croissant pétrolier », à l’est de Syrte, un arc de terminaux par où transite environ la moitié du brut libyen exporté. Dimanche 11 septembre, les forces du général Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL) qui contrôle l’essentiel de la Cyrénaïque (dans l’est) et refuse de reconnaître l’autorité de M. Sarraj, ont conquis les ports de Sidra et Ras Lanouf à l’issue d’une attaque éclair. Un troisième port, Zueitina, faisait toujours l’objet de combats dimanche, mais les forces du général Haftar semblaient avoir pris l’avantage.

La conquête du croissant pétrolier, dont les installations étaient en fait fermées depuis l’été 2013, constitue un défi militaire majeur lancé par le général Haftar au gouvernement de Tripoli soutenu par les Nations unies et les capitales occidentales. Le croissant était jusqu’alors contrôlé par la Garde des installations pétrolières, une milice locale commandée par Ibrahim Jadhran, homme fort du cru. Issu du mouvement fédéraliste de la Cyrénaïque, un courant autonomiste dénonçant l’appropriation des ressources pétrolières de l’Est par les autorités centrales de Tripoli, M. Jadhran s’était initialement rallié au général Haftar lors de l’éclatement du conflit, en 2014, ayant opposé ce dernier au bloc politico-militaire Fajr Libya (« Aube de la Libye ») à tendance islamiste.

A peine 200 000 barils par jour

Mais la relation entre les deux hommes s’était ensuite détériorée. Au printemps, M. Jadhran avait prêté allégeance au gouvernement d’union nationale de Faïez Sarraj, alors même que le général Haftar le dénonçait comme illégal. En juillet, les nouvelles autorités de Tripoli et M. Jadhran ont conclu un accord prévoyant la reprise des activités d’exportation du brut à partir des terminaux pétroliers. L’accord était vital à la survie du gouvernement de M. Sarraj, en quête désespérée de ressources financières alors que l’aggravation des difficultés quotidiennes (coupures d’électricité, chute du dinar, inflation…) minait l’état de grâce dont il avait bénéficié au départ. Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, l’industrie pétrolière nationale s’est littéralement effondrée. La production n’atteint plus désormais que 200 000 barils par jour – soit environ 12 % de son niveau d’avant 2011.

L’offensive du général Haftar au cœur du croissant pétrolier met en péril cette stratégie de survie du gouvernement Sarraj. Elle défie aussi ouvertement les efforts des Nations unies visant à faire avaliser la tutelle du gouvernement d’« union nationale » par le camp du général Haftar. Les 5 et 6 septembre, à Tunis, des discussions ont été amorcées dans le but d’instituer un conseil militaire rassemblant les différentes forces de l’Est et de l’Ouest.

Le général fait guerre à part contre l’EI

Aux yeux des Occidentaux, la reconstruction d’une armée nationale intégrée est indispensable pour une stratégie efficace de lutte contre l’organisation Etat islamique (EI) en Libye. C’est pourtant le contraire qui est en train de se produire. A Benghazi, le général Haftar conduit sa propre guerre contre des noyaux djihadistes – avec le concours d’unités spéciales françaises, dont trois soldats ont été tués en juillet – tout en classant l’ensemble de ses adversaires sous le label de « terroristes ». A Syrte, c’est une coalition de milices et de brigades de la Tripolitaine (Ouest) affiliée au gouvernement de M. Sarraj qui est sur le point de reconquérir une cité dont l’EI avait fait sa place forte en Afrique du Nord depuis début 2015.

En ouvrant un nouveau front dans le croissant pétrolier, le général Haftar menace d’affaiblir de facto l’offensive anti-EI. Si les forces de Misrata devaient en effet étendre leurs opérations pour reprendre possession des terminaux, il en résulterait mécaniquement un relâchement de leur engagement à Syrte.