La commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, en déplacement à Washington le 19 août 2016. | YURI GRIPAS / AFP

Le « timing » de l’annonce ne doit probablement rien au hasard, même si la Commission européenne refuse de confirmer quoi que ce soit. Lundi 19 septembre, elle a annoncé le lancement d’une enquête approfondie au sujet de possibles aides d’Etat illégales ayant bénéficié à Engie (ex-GDF Suez) au Luxembourg.

L’information tombe précisément le jour où la commissaire à la concurrence, la désormais célèbre Margrethe Vestager, entame une tournée américaine. Comme si elle avait voulu se prémunir du procès que lui fait Washington de ne s’en prendre qu’à des sociétés américaines, après le retentissant cas Apple – le géant des technologies a été condamné à rembourser la somme énorme de 13 milliards d’euros à l’Irlande fin août.

En ligne de mire, deux accords fiscaux (« rulings »)

Bruxelles soupçonne fortement le groupe énergétique, encore propriété de l’Etat français à hauteur de 33 %, de n’avoir pas respecté la législation fiscale en vigueur dans le Grand-Duché. En ligne de mire, deux accords fiscaux (« rulings ») avec le Luxembourg, émis depuis septembre 2008, visant deux types de transactions similaires entre quatre filiales luxembourgeoises du groupe.

 « Ces transactions financières sont des emprunts convertibles en actions pour lesquels le prêteur ne perçoit aucun intérêt. Le premier de ces emprunts convertibles a été accordé en 2009 par LNG Luxembourg [le prêteur] à GDF Suez LNG Supply [l’emprunteur] ; le second l’a été en 2011, par Electrabel Invest Luxembourg [le prêteur] à GDF Suez Treasury Management [l’emprunteur] », détaille la Commission dans son communiqué.

Ces transactions ont été considérées de deux manières différentes, donc incohérentes sur le plan fiscal : à la fois comme des emprunts et des prises de participation. Ces traitements ont de facto conduit à une double non-imposition des bénéfices générés au Luxembourg, du côté des emprunteurs et des prêteurs.

Les emprunteurs ont pu réduire leurs bénéfices dans le Grand-Duché en déduisant les intérêts générés par la transaction. Les prêteurs ont échappé à l’impôt sur les bénéfices qu’ils tirent des transactions, les règles luxembourgeoises exonérant les revenus tirés des prises de participation...

« Au final, il semble qu’une part significative des bénéfices enregistrés par GDF Suez au Luxembourg par l’intermédiaire de ces deux montages ne soit pas imposée du tout », souligne la Commission qui n’a rien voulu dire, lundi, du montant que Engie pourrait avoir à rembourser au Grand-Duché si l’aide d’Etat illicite était avérée. L’institution a cependant souligné comme à chaque fois qu’elle lance une enquête approfondie, que cette démarche ne préjugeait en rien sa décision finale.

Double responsabilité des Etats

« Alors qu’Engie est détenue à un tiers par l’Etat français, cette affaire démontre la double responsabilité des Etats à la fois en tant qu’actionnaire et en tant que régulateur. Cette situation illustre une nouvelle fois la situation paradoxale des Etats qui préfèrent se livrer à une course à la concurrence fiscale et font ainsi perdre des précieuses ressources budgétaires publiques. » a réagi l’ONG Oxfam France, lundi.

Le  « cas » Engie diffère sensiblement des affaires Starbuck ou Apple. Concernant la chaîne américaine de cafés, Bruxelles avait dénoncé des transactions intragroupes artificiellement gonflées avec une filiale britannique et une autre en Suisse, afin de réduire d’autant la base imposable néerlandaise.

Pour ce qui est d’Apple, la Commission a dénoncé un montage revenant à affecter à un siège social fictif l’essentiel des bénéfices réalisés par deux filiales irlandaises du groupe, agrégeant ses ventes partout en Europe.

Parmi les dossiers à venir, sont tout particulièrement attendus ceux de McDonalds, Amazon et Ikea

Parmi les dossiers encore à venir, sont tout particulièrement attendus ceux de McDonalds (certaines sources bruxelloises l’attendent pour avant le mois de novembre), d’Amazon et d’Ikea. A en croire la rumeur, Amazon pourrait avoir à rembourser jusqu’à 400 millions d’euros au Luxembourg. Et McDonalds environ 500 millions, toujours au Grand-Duché, selon le Financial Times.

L’automne devrait être encore riche en révélations: accaparées pendant de longs mois par le cas Apple, les équipes de Mme Vestager ont désormais à coeur de boucler d’autres dossiers en souffrance. Elles ont à priori du travail pour des années, ne s’étant toujours pas attaquées, faute de temps, à l’énorme masse d’informations révélée par les Luxleaks fin 2014 (ces centaines de  « rulings » signés par le Grand Duché avec des multinationales).

Bruxelles a fait de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale une de ses priorités, et son président, Jean-Claude Juncker, veut profiter de la pression politique crééer par Luxleaks, PanamaPapers (avril 2016), et la condamnation d’Apple pour rendre la commission plus populaire.

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