Une membre de la famille d’une victime du terrorisme dépose une gerbe de fleurs lors de la cérémonie aux Invalides, le 19 septembre. | MICHEL EULER / AFP

Comme chaque année, ils se sont retrouvés, endeuillés et éprouvés, dans les jardins de l’Intendant aux Invalides, à Paris. Comme chaque année, ils ont convergé vers la statue-fontaine de La Parole portée, l’unique monument parisien dédié aux victimes du terrorisme. Là, comme chaque année, proches de victimes et rescapés ont lu, lundi 19 septembre, le nom des défunts frappés par des attentats au cours des douze derniers mois. Mais cette année, la France a basculé dans une nouvelle ère, avec un nombre inégalé de victimes du terrorisme : 230 Français ont été tués lors des huit attentats commis sur le territoire national ou à l’étranger.

Un cortège de politiques a donc rempli les rangs de cette cérémonie organisée depuis 1998 par l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) et la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). Outre le président François Hollande et le premier ministre Manuel Valls, de nombreux ministres et personnalités de tous bords étaient présents pour cet hommage. Assis au premier rang, l’ancien président Nicolas Sarkozy, candidat à la primaire de la droite, se trouvait non loin de ses rivaux, les anciens premiers ministres Alain Juppé et François Fillon, ou le président du MoDem, François Bayrou.

Nicolas Sarkozy et François Hollande lors de la cérémonie aux Invalides, le 19 septembre. | JACKY NAEGELEN / AFP

« Je me sens prête »

Si cette 18e cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme a pris une tonalité plus politique à quelques mois de la présidentielle, les rescapés et les proches des victimes, eux, étaient loin de ces considérations, manifestant d’une même voix leur besoin de se réunir. Claire Houd, qui a perdu sa sœur le 13 novembre 2015, alors qu’elle fêtait un anniversaire à la terrasse de La Belle Equipe, n’avait « pas pu » se rendre à l’hommage national rendu par François Hollande, deux semaines après les attentats, dans la cour d’honneur des Invalides, le plus haut niveau protocolaire d’hommage à la nation. « J’étais couchée, je n’avais pas la force de me lever, aujourd’hui, je me sens prête », confie-t-elle avant le début de la cérémonie.

Aux côtés des victimes du 13 novembre ont pris place celles de Ouagadougou (30 morts dont deux Français), de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire (19 morts, quatre Français), de Bruxelles (32 morts, un Français), de Gao, au Mali (4 morts, un Français), de Magnanville (un policier et sa femme), de Nice (86 personnes tuées sur la promenade des Anglais) et de Saint-Etienne-du-Rouvray, où le père Hamel a été assassiné, près de Rouen.

Sheherazade, jeune femme de 28 ans à l’allure élancée, se trouvait sur la promenade des Anglais le soir du 14-Juillet. Cette Niçoise installée à Paris a longtemps regretté d’être partie le lendemain matin de l’attaque, se privant ainsi de la minute de silence auprès de ses proches. « Pour se rattraper », et parce qu’à Paris « les gens se sentent moins concernés par les attentats de Nice », elle a tenu à être présente aux Invalides. Dans la foule clairsemée qui se dirige vers les jardins de l’Intendant, on compte peu de Niçois. « Ma famille préfère assister à l’hommage qui sera rendu là-bas », le 14 octobre, explique la jeune femme, s’abritant sous son parapluie.

« Venir en soutien »

L’envergure sans pareille des attaques qui ont touché la France durant cette année a incité des victimes d’actes terroristes antérieurs à venir « en signe de soutien », comme Mark Moogalian, Franco-Américain de 51 ans, qui a reçu une balle dans l’épaule en essayant de désarmer Ayoub El-Khazzani, le djihadiste qui a tenté d’ouvrir le feu à la kalachnikov à bord du Thalys Amsterdam-Paris, le 21 août 2014. « C’est important de fédérer les victimes entre elles, car, de fait, un lien invisible nous lie », réagit-il, claudiquant vers les forces de sécurité, nombreuses, à l’entrée des Invalides. Romain Baron, 52 ans, qui vient pour les mêmes raisons, a été l’un des rares survivants de l’attentat contre le quartier général de l’ONU à Bagdad, qui a fait 23 morts, le 19 août 2003.

Deux participants à la cérémonie d’hommage aux victimes du terrorisme se serrent dans les bras, aux Invalides, le 19 septembre. | MICHEL EULER / AFP

« Toutes les victimes du terrorisme sont liées les unes aux autres, quelles que soient leur religion et leur couleur de peau », résume Georges Salines, qui a perdu sa fille Lola au Bataclan, à Paris. Premier à prendre la parole en tant que président de l’association 13 Novembre : fraternité et vérité, le père de famille a répété ce message d’union, visant sans le citer Nicolas Sarkozy, critiqué pour ses amalgames entre musulmans et terroristes. Dans une anaphore inspirée, Arthur Denouveaux, représentant de l’association Life for Paris, qui a pris part à l’organisation de la cérémonie, a énuméré des détails de vie de chacune des victimes :

« Je suis Marielle, communicante, blessée dans l’âme, mais qui a toujours confiance en l’humanité. Je suis Alice, j’aime la vie, le monde, le découvrir c’est pour ça que je voyage. Je suis en Asie, je pense à vous, je vous aime. Je suis Anne-So, j’ai perdu mon innocence, mais pas que, j’ai depuis redécouvert l’amour et l’amitié avec mes proches. Je suis Géraldine, je ne fais presque plus de cauchemars et aujourd’hui je pars en lune de miel. »

Au fil des descriptions des victimes et des différentes attaques dans lesquelles elles ont perdu la vie se dessine avec plus d’acuité le visage du terrorisme qui a frappé la France cette année.

Un fonds d’indemnisation « opaque »

Mais c’est aussi la gestion des attentats par les politiques, et plus largement par l’administration française, qui a été mise en lumière. Dans son discours, Etienne Denis, le président de la Fenvac, a notamment interpellé François Hollande au sujet du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme (FGTI), jugé lent et laborieux. Il réclame notamment un statut pour les familles des victimes blessées, des procédures plus rapides, une aide psychologique obligatoire pour les enfants et un statut pour les citoyens venus en aide aux victimes. « Les modalités du fonds d’indemnisation ne prennent pas en considération les souffrances psychiques des victimes. Cela repose sur une vision froide et mécanique », a constaté Me Mouhou, qui défend des dizaines de victimes des attentats de Paris et Saint-Denis, Nice et Saint-Etienne-du-Rouvray.

Emmanuel Domenach, le vice-président de l’association 13 Novembre : fraternité et vérité, dénonce les grilles forfaitaires pour les familles des victimes, alors que chaque situation devrait être gérée au cas par cas. « Pour le père qui a perdu son enfant, c’est 62 500 euros. Pour le frère, 21 000 euros », détaille-t-il, déplorant au passage des modalités d’indemnisation opaques.

Des « rivalités » entre victimes

Concernant les victimes de Nice, « les proches des victimes assassinées et toutes les personnes qui ont été exposées au danger pour s’être trouvées sur le trottoir et la voie de circulation empruntés par le camion lors de son parcours meurtrier, que leurs blessures soient physiques ou psychiques, seront indemnisées », selon un communiqué de presse, publié le 9 septembre, à l’issue d’un conseil d’administration extraordinaire du FGTI.

« Donc si vous êtes du côté du trottoir devant la mer, vous êtes indemnisés, à condition de le prouver, et si vous êtes de l’autre côté, c’est foutu. C’est sidérant. Bientôt il faudra faire un selfie pendant les attaques pour être sûr d’être indemnisé », raille M. Domenach, avant d’ajouter :

« Le fonds établit des différences de traitement insupportables alors que la question ne s’est pas posée pour les terrasses à Paris. »

Bilal Monoko, première victime des attentats du 13 novembre 2015, qui se déplace en fauteuil roulant depuis qu’il a reçu des boulons de la ceinture d’explosif d’un des kamikazes du Stade de France (Saint-Denis), déplore, lui aussi, que le fonds d’indemnisation instille des rivalités entre les victimes.

« Garant dans la durée »

Dans un discours compassionnel, François Hollande a salué la dignité et le courage des victimes, avant d’annoncer une réforme du système d’indemnisation des victimes du terrorisme. Devant les centaines de personnes réunies, M. Hollande a estimé que ce fonds, « créé il y a trente ans », ne pouvait « plus rester en l’état », souhaitant à l’avenir une indemnisation « juste » et « transparente », sans plus de détail. Les ressources du FGTI « seront revues » et l’Etat « s’en portera garant dans la durée », a assuré le président de la République. Jusqu’ici, l’Etat n’est pas responsable du financement du fonds d’indemnisation, qui est alimenté par une taxe de 4,30 euros prélevée sur les contrats d’assurance.

D’une même voix, les victimes et représentants des associations ont salué l’annonce du chef de l’Etat. Tout en restant sur leurs gardes. Car, selon Me Mouhou : « Jusqu’ici, les provisions données ne permettent pas de répondre à la détresse des familles. Elles sont toujours dans cette situation de double peine : des victimes qui ont payé le prix du sang et qui ne sentent pas considérées comme telles. »

François Hollande rend hommage aux victimes des attentats
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