Dans un chat, lundi 19 septembre, Cécile Chambraud, journaliste chargée du suivi des religions au service société du Monde, a répondu aux interrogations des internautes sur le rapport de l’Institut Montaigne sur les musulmans de France.

Pensez-vous sérieusement que cette enquête vaut quelque chose ? Pensez-vous que poser des questions sur le halal, le voile, la laïcité – surtout après les débats politiques – permette de donner une image des millions de musulmans français ? Et quelle finalité cela a-t-il sur le bon vivre ensemble ? Existe-t-il la même chose pour les athées, juifs, chrétiens, etc. des questions qui permettent de généraliser ?

Cécile Chambraud : Ce rapport est fondé sur une grosse enquête par sondage qui, à ma connaissance, n’a pas de précédent. Pour obtenir un échantillon suffisant de personnes de foi ou d’ascendance musulmanes, l’IFOP a interrogé plus de 15 000 personnes représentatives de la population générale. En France, de par la loi de janvier 1978, il est très difficile d’obtenir des informations précises liées à la pratique et aux valeurs des différentes confessions. Ce sondage permet donc d’obtenir des informations précieuses sur la pratique et les valeurs des musulmans vivant en France. Mais le rapport comporte aussi une interprétation des résultats de cette enquête. Cette interprétation peut naturellement faire l’objet de débats.

Cette étude permet (a priori) de visualiser une photo des musulmans français. Mais comment peut-on projeter cette photo dans l’avenir ? Les jeunes qui placent leur religion devant l’Etat ont-ils pour ambition de jouer un rôle politique, voire prendre le pouvoir d’une manière ou d’une autre ?

Un sondage n’est jamais une prédiction, c’est en effet une photographie. Je ne crois pas qu’on puisse forcément dire à partir de ce sondage que les jeunes dont vous parlez placent la religion devant l’Etat ni qu’ils forment d’ailleurs un bloc monolithique. Leur rapport à la collectivité nationale n’est sans doute pas homogène, il faudrait des analyses sociologiques plus approfondies pour avoir une vision plus fine.

Est-ce que l’enquête fait un lien entre la classe sociale des musulmans (éducation, salaire, lieu de résidence) de France et les réponses (rigoristes ou non) qu’ils donnent ?

D’après les auteurs du rapport, les catégories sociales les plus favorisées sont surreprésentées dans le groupe des musulmans les plus sécularisés et sous-représentées dans le groupe de ceux qui ont la religiosité la plus démonstrative. Les personnes qui ont un statut professionnel précaire (stage, intérim, CDD…) sont plus susceptibles d’appartenir à ce dernier groupe. En revanche, ceux qui ont un CDI, les fonctionnaires et les chefs d’entreprise « se situent en dehors de ce groupe dans plus de 80 % des cas », selon l’Institut Montaigne.

En quoi cela pose t-il un problème que certains musulmans refusent de fréquenter des piscines mixtes ou de faire la bise à des personnes du sexe opposé ? Les juifs orthodoxes ne le font pas non plus, ça n’a jamais gêné personne. A moins que les « valeurs de la République » aient connu une telle extension que la bise en fasse désormais partie…

Les valeurs de la République n’ont rien à voir là-dedans en effet. Il n’y a aucun obstacle juridique à ce que certains musulmans ou les fidèles d’autres religions, dans leur vie personnelle, choisissent tel ou tel comportement à l’égard du sexe opposé, dans la mesure où ils respectent la loi. En revanche, au sein d’une entreprise, saluer différemment des collègues en fonction de leur sexe peut causer des difficultés ou perturber l’ambiance de travail. Dans ce cas, l’entreprise est fondée à essayer de régler le problème. En général, cela passe par des discussions.

L’échantillon utilisé pour l’enquête ne comporte qu’un peu de moins de 120 personnes « de culture musulmane et non pratiquantes ». Un échantillon aussi restreint est-il vraiment valable pour étudier cette partie de la population ?

Vous avez raison, plus un échantillon est petit, moins précis sont les résultats le concernant. L’important ici est la taille de l’échantillon global (1 029 musulmans de confession ou d’ascendance). L’Institut Montaigne précise que la marge d’erreur moyenne pour un échantillon de 1 000 personnes est d’environ 3 % et « celle inhérente à l’analyse d’un sous-groupe dans ce même échantillon augmente sensiblement et peut s’élever entre 6 % et 8 % ».

Comment est-il possible de considérer que l’islam est compatible avec la République lorsque la moitié des jeunes musulmans sont rigoristes et, d’après l’enquête, « sont clairement opposés aux valeurs de la république » ?

A ma connaissance, aucun article de la Constitution n’interdit une observance religieuse rigoriste ! Plus sérieusement, dire que la pratique d’une partie des jeunes musulmans s’oppose aux valeurs de la République fait partie de l’interprétation des données de l’enquête faite par l’Institut Montaigne. On a tout à fait le droit de contester cette interprétation. Mais la réalité de cette pratique rigoriste est, elle, une donnée.

L’enquête dont je n’ai que des bribes à la radio fait-elle une distribution sociale de nos concitoyens musulmans en comparaison avec les autres religions (incluant les athées). En d’autres termes, comment connaître la représentativité des Français musulmans dans les différentes couches de la société ?

En France, on ne dispose pas de statistiques fiables en fonction de la religion. C’est pour cela que l’Institut a procédé par sondage. Pour essayer de s’approcher d’un échantillon représentatif de musulmans, l’IFOP l’a « extrait » d’un échantillon global de plus de 15 000 personnes qui, lui, est représentatif. Des caractéristiques sociales des enquêtés, l’IFOP a dressé un portrait socio-économique que l’on a résumé plus haut et que vous pouvez retrouver sur le site de l’Institut [ainsi que ci-dessus]. C’est en tout cas une approximation intéressante.

Ce sondage est très médiatisé et est très commenté. Ce sondage n’est-il pas non conforme à la loi de 1978 ? Au vu des informations relevées, est ce que la loi de 1978 ne prive pas la société d importantes informations afin de mieux se connaître et de clarifier les débats ?

C’est un vrai débat. On peut soutenir qu’une connaissance fiable des attentes et des attitudes des différentes composantes religieuses de la population permettrait de désamorcer des controverses qui se nourrissent souvent de notre relative méconnaissance.

Ce sondage met-il en évidence une différence entre homme et femme ? Autrement dit, les femmes de culture musulmane s’éloignent-elles plus ou moins vite que les hommes de la religion ?

Il existe très peu de différences entre les hommes et les femmes entre les différents types de religiosité. Par ailleurs, si l’on s’attache aux opinions concernant le port du voile, par exemple, on constate que les femmes y sont légèrement plus favorables.

Le fait que les jeunes musulmans soient plus rigoristes que leurs aînés semble inquiéter et poser des questions sur l’avenir. N’observe-t-on pas ce phénomène pour l’ensemble des religions ? N’est-ce pas une particularité liée à la jeunesse qui s’estompera au fil du temps ?

En effet. Un sociologue des religions comme Philippe Portier a bien montré que le regain de religiosité se retrouve aussi chez les catholiques et chez les juifs depuis quelques décennies. Quant à l’avenir… Dieu seul le sait !