Demandeurs d’emploi et conseillers Pôle Emploi, à l’agence de Vendôme (Loir-et-Cher). | MALIK NEJMI POUR LE MONDE

La lutte contre les discriminations à l’embauche et dans l’emploi fait l’objet de débats récurrents en France. S’il n’est plus nié, le phénomène est encore trop souvent minimisé par les entreprises. Pourtant, les inégalités sur le marché du travail ont un coût pour l’économie. C’est le sens d’un rapport qui devait être remis, mardi 20 septembre, à la ministre du travail Myriam El Khomri et au ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, Patrick Kanner.

Plusieurs scénarios

Réalisé par France Stratégie, un groupe de réflexion rattaché à Matignon, ce travail formule plusieurs scénarios de réduction des discriminations touchant les enfants d’immigrés et les femmes, pour parvenir à une conclusion centrale :

« La réduction des écarts de taux d’emploi et d’accès aux postes élevés (…) permettrait un gain de 6,9 % du produit intérieur brut (PIB), soit environ 150 milliards d’euros sur la base du PIB français de 2015 ».

Ces objectifs correspondant à ce qui pourrait être corrigé dans les vingt années à venir, l’estimation de France Stratégie équivaut à une hausse de 0,3 point de PIB par an.

« Les chiffres auxquels nous aboutissons sont plus élevés que ce que la plupart des observateurs avaient en tête »

« Les chiffres auxquels nous aboutissons sont plus élevés que ce que la plupart des observateurs avaient en tête. Surtout, alors qu’on parle souvent de discriminations en termes de droits et d’équité sociale, ce travail permet d’attirer l’attention sur la dimension économique du sujet », explique Jean Pisani-Ferry, le commissaire général de France Stratégie.

« Il y a non seulement un aspect moral à la lutte contre les discriminations, mais aussi un argument rationnel d’efficacité économique », abonde-t-on dans l’entourage de Mme El Khomri.

Expérience américaine

Un tel chiffrage n’avait encore jamais été réalisé pour la France. Des travaux américains en montraient cependant l’enjeu : « L’amélioration de l’accès des femmes et des Noirs aux postes essentiellement occupés par des hommes blancs serait à l’origine de 15 % à 20 % de la croissance des Etats-Unis depuis les années soixante », note le rapport.

En mai 2015, un premier rapport sur la lutte contre les discriminations en entreprise avait été remis au gouvernement. Elaboré par un groupe de représentants syndicaux et patronaux, sous l’égide de Jean-Christophe Sciberras, directeur des relations sociales du groupe chimique Solvay et ancien président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, il préconisait une évaluation économique de ce phénomène.

France Stratégie a travaillé sur les écarts
de salaires à poste donné, mais aussi
sur les écarts de taux de chômage

Pour ce faire, France Stratégie a notamment travaillé à partir des données de l’enquête emploi de l’Insee, chiffrant dans le temps les écarts de salaire à poste donné, mais aussi les écarts de taux de chômage entre enfants d’immigrés, personnes vivant en zones urbaines sensibles, femmes, et les hommes sans ascendance migratoire directe.

Jusqu’à une hausse possible de 14,1% du PIB

Au final, les économistes ont retenu quatre critères : le moindre accès des femmes et des descendants d’immigrés aux postes les mieux rémunérés, leur moindre accès à l’emploi, au travail à temps plein, et les inégalités d’éducation.

Quatre scénarios ont été élaborés, allant jusqu’à une hausse de 14,1 % du PIB si ces quatre déséquilibres étaient tous corrigés.

Mais les économistes de France Stratégie ont privilégié un scénario intermédiaire (à + 6,9 % du PIB), car deux dimensions leur semblaient plus aléatoires. « Le temps partiel, même s’il est souvent subi, peut aussi résulter de choix personnels. Quant à la convergence des accès à l’éducation, elle suppose un horizon de temps très long », justifie M. Pisani-Ferry.

Dans le scénario privilégié, le gain en termes de recettes publiques pourrait être de 2 points de PIB, pour une baisse des dépenses publiques (indemnisation chômage) de 0,5 point.

Réforme structurelle

Premier du genre, ce travail donnera certainement lieu à des débats méthodologiques entre économistes. Notamment parce que les discriminations relèvent autant, sinon plus, de préjugés et d’intériorisation de comportements que de textes de loi ou d’actions publiques.

Mais, selon M. Pisani-Ferry, le rapport permet de pointer que « la réduction des discriminations est bien une réforme structurelle, qui aura des bénéfices économiques et sociaux. On a tendance à opposer les deux, mais pour une fois ils se rejoignent : quand un pays recrute son élite dans seulement une fraction de sa population, c’est forcément coûteux, car il se prive de talents ».

Responsabilité des entreprises

La balle est désormais dans le camp des entreprises et des pouvoirs publics. « Notre rôle est (…) de rappeler le droit avec force, mais aussi et surtout de réveiller les consciences pour que les comportements changent », a souligné Mme El Khomri, mardi.

« Ce travail nous engage à amplifier nos actions actuelles. Il montre aussi la responsabilité des entreprises dans le domaine », complète l’entourage de la ministre. Une opération de « testing » des méthodes de recrutement a ainsi été menée depuis le printemps auprès d’une quarantaine d’entreprises tricolores de plus de 1 000 salariés.

« Nous serons intraitables avec [les entreprises] qui prendraient des mesures uniquement cosmétiques »
(Myriam El Khomri, ministre du travail)

« A réception des résultats, nous engagerons de façon bilatérale un dialogue avec chaque entreprise (…). Mais nous serons intraitables avec [celles] qui prendraient des mesures uniquement cosmétiques. Nous n’aurons alors aucun état d’âme à désigner les mauvais élèves », prévient Mme El Khomri.