La "une" du quotidien marocain Al-Massae du 29 août 2015, à Rabat, mettant en cause les journalistes français Eric Laurent et Catherine Graciet pour "chantage" auprès du roi du Maroc. | FADEL SENNA/AFP

Catherine Graciet et Eric Laurent, deux journalistes mis en examen pour « chantage » et « extorsion » à l’encontre du roi du Maroc, ont demandé, mercredi 16 décembre, à la justice de condamner le Journal du dimanche (JDD) pour atteinte à la présomption d’innocence.

En cause, le JDD du 30 août, qui évoquait un « enregistrement accablant » et expliquait « comment les deux journalistes ont fait chanter le roi » Mohammed VI.

« Aucune prudence dans l’expression », a dénoncé devant le tribunal de grande instance de Paris l’un des avocats d’Eric Laurent, MVincent Brengarth, pour qui l’utilisation du terme « flagrant délit », relative à l’interpellation des deux journalistes, signifie pour le lecteur une « démonstration de culpabilité ». Ces publications ont « rendu inaudible toute possibilité de défense », a renchéri MLéa Forestier, dénonçant « une présentation manichéenne ». Les deux journalistes demandent chacun 30 000 euros de dommages et intérêts, et des mesures de publications judiciaires.

Dans cette affaire, où Catherine Graciet et Eric Laurent sont soupçonnés d’avoir monnayé l’abandon d’un livre censé contenir des révélations gênantes pour Rabat, le JDD avait retranscrit un échange censé avoir eu lieu entre Eric Laurent et un avocat du royaume, enregistré par ce dernier :

« Vous voulez quoi ? demande l’avocat.

- Je veux trois.

- Trois quoi, trois mille ?, interroge l’avocat.

- Non, trois millions.

- Trois millions de dirhams ?

- Non, trois millions d’euros. »

Sauf que ces termes « ne figurent absolument pas dans le dossier pénal », a souligné MBrengarth, soulignant que la retranscription officielle décrit certains passages comme inaudibles.

« Vous tuez la possibilité d’instaurer un débat de fond »

« C’est le cœur du dossier », « qui a commencé, qui a fait quoi ? », a souligné le conseil de Catherine Graciet, MEric Moutet. Pour lui, le JDD a donné « le la à l’hallali ». L’avocat dénonce un « carnage médiatique ».

« Tentative de diversion », a rétorqué pour le JDD Me Christophe Bigot, « que ce soit 2 millions, 3 millions ou 80 000 euros », somme remise aux journalistes, « ça suffit pour caractériser la tentative de chantage ». Si vous condamnez, « vous tuez la liberté de l’information » dans une procédure judiciaire, « vous tuez la possibilité d’instaurer un débat de fond », a-t-il lancé aux juges. Débat que l’avocat a reproché à ses contradicteurs de vouloir éviter, en attaquant pour atteinte à la présomption d’innocence plutôt qu’en diffamation. « C’est un sujet d’intérêt général qui est en cause », a-t-il plaidé, mettant en avant les arguments de la défense des journalistes qui figuraient dans le JDD et sur son site ce jour-là et les jours suivants.

Le tribunal a mis son jugement en délibéré au 17 février 2016.