« Tes cheveux ressemblent à des poils pubiens. » Voilà une des premières insultes que j’ai entendues à propos de mes cheveux, proférée par une étudiante en première année avec qui j’étais à la fac. Elle ne cessait de me harceler en touchant mes cheveux et en répétant cette phrase à qui voulait l’entendre. J’ai été obligée de la menacer physiquement pour qu’elle arrête de toucher mes cheveux et de les comparer à des poils pubiens.

C’est un dilemme très courant pour les Noirs, dès le plus jeune âge : est-ce que je laisse les gens toucher mes cheveux ? Et dans quelles conditions ? La question « Je peux toucher ? » devient assez rapidement synonyme de situations socialement gênantes, qui peuvent briser une relation amicale avant même qu’elle ait eu le temps de commencer.

Le destin de l’afro

La question de la texture des cheveux des Noirs (de grâce, ne dites pas « ethniques ») ne date pas d’hier. Au temps de l’esclavage, les femmes blanches coupaient souvent les cheveux de leurs esclaves femmes, sous prétexte que cela « troublait l’homme blanc ».

Aujourd’hui, les femmes noires aux cheveux afro naturels – c’est-à-dire non traités avec des produits chimiques – sont tout ce qu’il y a de plus désirable, contrairement aux idées reçues. Voyez par exemple l’immense popularité de l’actrice Lupita Nyong’o, une femme noire qui assume son afro.

Il ne s’agit pas là d’une simple tendance, d’un banal effet de mode : les cheveux des femmes noires ont toujours fasciné les artistes et les photographes ; leur chevelure est symboliquement liée à des mouvements politiques radicaux, comme les Black Panthers ou le « Mouvement de conscience noire » en Afrique du Sud. Il semble donc pour le moins paradoxal que l’on demande aux jeunes femmes du lycée de Pretoria de « discipliner » leurs cheveux en les lissant.

Entre peur et désir

En réalité, il n’y a rien là de contradictoire, tant le désir et la peur se nourrissent l’un l’autre. Dans le documentaire produit par Chris Rock, qui en est aussi la voix off, Good Hair, le comédien Paul Mooney le dit tout de go : « Si tes cheveux sont lisses, les blancs restent « peace ». Mais si tu gardes ton afro, pour eux c’est trop affreux » (« If your hair is relaxed, white people are relaxed. If your hair is nappy, they are not happy »).

Il y a dans cette petite phrase bien plus qu’un trait d’esprit. Mooney souligne en réalité le fait que l’afro est inévitablement associée à une notion qui, selon lui, semble sans cesse échapper aux blancs : le bonheur. Car lorsque vous gardez vos cheveux naturels, vous êtes libre ; vos cheveux sont sauvages ; vous pouvez arborer une nouvelle coiffure tous les jours ; vous rayonnez ; vous êtes majestueux. Autant de choses qui sont hors de portée de la plupart des gens, ce qui les rend malheureux.

L’afro pose aussi la question du conformisme. Le choix de laisser ses cheveux « en liberté », de ne pas les peigner, revient à les laisser exprimer leur personnalité plutôt que de ressembler à toutes les autres tignasses. Cela peut aussi frustrer certaines personnes.

Je généralise volontairement, je ne parle pas que des blancs, car les préjugés au sujet des cheveux des Noirs sont également diffusés par les Noirs eux-mêmes. En réalité, je dirais que la plupart des blancs ne savent rien du tout au sujet des cheveux des Noirs, et qu’ils tiennent la plupart de leurs idées reçues des Noirs eux-mêmes.

Une histoire de mythes

Il faut mettre au jour deux préjugés principaux pour comprendre ce qui peut motiver la directrice du lycée pour filles de Pretoria quand elle cherche à discipliner les cheveux des filles.

Le premier préjugé, c’est que la coupe afro est « sale ». Le deuxième, c’est que les cheveux des Noirs poussent trop vite ou ne poussent pas du tout (d’où cette obsession pour la longueur des cheveux, les extensions, les dreadlocks).

Beaucoup de femmes et d’hommes noirs qui portent des tresses et lissent leurs cheveux expliquent leur choix en disant que leurs cheveux sont « ingérables » ou que leurs cheveux sont « sales » au naturel. Certains vont même jusqu’à avancer une preuve sous forme d’anecdote : quand Bob Marley est mort, on aurait retrouvé 47 types de poux différents dans ses cheveux. Ce sont là des légendes urbaines de la pire espèce, qui perpétuent l’idée selon laquelle seuls les cheveux des Noirs attirent les poux ou autres vermines, ce qui est une aberration scientifique.

Se lisser les cheveux, est-ce trahir ses origines ?
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Ce mythe trouve son origine dans les images de ceux que les soldats britanniques appelaient péjorativement les « fuzzy-wuzzy », des insurgés de la guerre du Soudan qui défendaient le Mahdi. C’est cette guerre (1881 – 1899) qui a popularisé l’image de la coupe « afro sauvage » que les gens associent systématiquement aux cheveux des Noirs. C’est une image trompeuse, qui laisse entendre que les soldats soudanais ne se coiffaient pas et ne se lavaient pas les cheveux, dans la mesure où sur les images, ils ont souvent l’air hirsutes. C’est pourtant tout le contraire. Sur tout le continent africain, les techniques de coiffage sont aussi variées que les coiffures qu’elles permettent de réaliser.

La coupe « afro » ne représente pas du tout la coupe standard de l’Africain. C’est juste une des centaines de façons d’entretenir des cheveux crépus. Par ailleurs, quand un(e) Noir(e) décide de se faire des dreadlocks (des tresses « rasta »), pas besoin de salir ses cheveux pour que les mèches s’agglomèrent. Quand les cheveux ne sont ni peignés ni brossés, les dreadlocks se forment toutes seules, et ce, sur tous les types de cheveux.

L’association des dreadlocks et de la saleté vient en partie des Caraïbes, où est né le mouvement rastafari. Mais là aussi, on a fait un raccourci : on croit que les dreadlocks viennent des Rastas. Or, les rastafariens se sont inspirés de l’Afrique pour leurs dreadlocks. Plus précisément, le concept des cheveux emmêlés est arrivé dans les Caraïbes par le biais d’images de soldats éthiopiens qui combattaient l’invasion italienne, qui débuta en 1935. Ils firent le vœu – prenant exemple sur Samson, dans la Bible – de ne plus se couper les cheveux jusqu’à ce que leur pays soit libéré et leur empereur (Ras Tafari Makonnen, appelé aussi Haile Selasssie) revenu d’exil.

Avant la guerre, les élites éthiopiennes arboraient des afros très soignées. La seule conclusion que nous puissions tirer de ce coup d’œil dans le rétroviseur, c’est qu’il n’y a que pendant la guerre ou sous le joug colonialiste que les Noirs étaient mal coiffés. En temps de paix, les coiffeurs et les barbiers faisaient leur boulot et leurs cheveux étaient superbes.

Discipliner les cheveux des Noirs

Les mythes autour de la longueur des cheveux des Noirs sont aussi nombreux que les mythes sur leur supposée « saleté ». Ce préjugé vient en fait d’un problème de mesure. Les cheveux africains sont crépus au naturel ; pour mesurer leur longueur, il faudrait les « dérouler ». C’est pourquoi toutes les règles et autres limitations au sujet de leur longueur sont dénuées de sens.

Comment connaître – sans les dérouler – la longueur des cheveux d’un(e) Noir(e) ? Chez telle personne, les cheveux auront l’air courts à cause d’une coiffure qui réduit le volume apparent, tandis que chez telle autre, les cheveux sembleront très longs – là encore, une illusion due à sa coiffure.

L’idée que les cheveux des Noirs devraient être coupés ou disciplinés, portés à une certaine longueur, est en réalité une preuve d’ignorance crasse. Les cheveux des Noirs ne poussent pas de la même façon en fonction des personnes.

Le lycée pour filles de Pretoria n’est pas la première institution à tenter de discipliner les cheveux des Noirs. Dans un article paru dans le New York Times, intitulé « Quand les cheveux des Noirs sont hors-la-loi », Ayana Byrd et Lori L. Tharps – auteures de Hair Story : Untangling the Roots of Black Hair in America – ripostaient à la parution de règles dans l’armée américaine visant à réguler la coiffure des soldats. Ces règles interdisaient les tresses multiples, les cheveux emmêlés et les torsades – autant de références aux cheveux africains naturels et aux coupes de cheveux que les Noirs aiment porter.

Quel « sens commun » ?

Les institutions conservatrices – écoles, armées, corporations, etc. – ont évidemment le droit de prescrire un code vestimentaire. Cependant, ce code ne devrait pas s’appuyer sur des connaissances partielles. Ce genre d’institution ne peut pas se fier au « sens commun » pour fixer de telles règles, mais devrait plutôt s’interroger sur le sens de ces interdictions en se référant à la culture et à l’histoire.

Car quand il est question des cheveux des Noirs, le sens commun n’a aucune valeur : les Noirs eux-mêmes ne cessent de changer d’avis au sujet de ce qu’ils ont envie de faire de leurs cheveux. En véritable expression de notre culture, nos cheveux sont aussi malléables et flexibles que nos idées et nos inspirations esthétiques.

Essayer de fixer ce mode d’expression, de lui imposer des règles, c’est renier aux Noirs ce que l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop nommait notre « conscience prométhéenne ». En tant que Noirs, nos cheveux expriment les possibilités infinies qui émanent de cette conscience créative et audacieuse.


Hlonipha Mokoena est professeur associé au Wits Institute for Social & Economic Research, à l’université de Witwatersrand en Afrique du Sud. Cet article a d’abord été publié par The Conversation.