L’usine Alstom de Belfort, le 7 septembre 2016. | SEBASTIEN BOZON / AFP

La crise politique qui s’ouvre autour de l’annonce de l’arrêt de la production de locomotives et de motrices sur le site historique d’Alstom à Belfort à l’horizon 2018 s’emballe. L’annonce du transfert de 400 personnes – sur un effectif de 480 à Belfort –, vers les onze autres sites du constructeur ferroviaire ne passe pas, politiquement. Et ce malgré l’absence de tout plan de départ et autre plan social.

Lundi 12 septembre, l’Elysée a décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps, tandis qu’à Bercy devraient être organisées des réunions avec les syndicats et les élus locaux. Cependant, quelle est réellement la marge de manœuvre de l’Etat sur ce dossier ?

  • Alstom est-il en difficulté ?

Non. Depuis la cession de sa branche énergie, en 2015, Alstom Transport va bien. Au 30 juin, son carnet de commandes était de 29,7 milliards d’euros, ce qui représente plus de quatre années de chiffre d’affaires. Et donc d’activité. Son dernier exercice annuel (6,8 milliards d’euros) s’est soldé par un résultat d’exploitation de 388 millions d’euros.

Alstom a gagné récemment de nombreux appels d’offres à l’international : en Italie, au Pays-Bas, en Allemagne, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud, en Amérique du Sud. Plus récemment, le groupe français a officialisé l’obtention du contrat de 1,8 milliard d’euros pour construire les vingt-huit nouvelles rames de TGV pour Amtrak, aux Etats-Unis.

  • Est-ce une bonne nouvelle pour le made in France ?

Dans le ferroviaire, les trains et autres métros sont généralement produits sur ou à proximité des marchés. Ainsi, les trains vendus aux Etats-Unis seront produits sur place. Ceux commercialisés en Italie sont fabriqués dans les trois usines italiennes d’Alstom. Les trains pour le marché allemand ou le nord de l’Europe sont produits dans les usines du groupe situés outre-Rhin…

Les sites français sont avant tout dépendants des commandes locales, même si elles desservent également ponctuellement des marchés de grand export. C’est tout le problème. En France, les commandes publiques ont fondu ces dernières années. En 2009, la SNCF et les régions ont signé un contrat-cadre avec Alstom pour la fourniture d’un millier de rames Regiolis. Problème, moins de 300 trains ont été au final commandés…

En 2013, la SNCF a accepté d’acheter quarante TGV supplémentaires, malgré la baisse de rentabilité de son activité, ce qui a redonné de la charge aux usines du groupe dans l’Hexagone. Mais pas assez pour les maintenir toutes. Dernièrement, l’Etat a confirmé une commande de trente trains Intercités (pour 500 millions d’euros), qui va apporter une charge ponctuelle à certains sites tricolores d’Alstom.

En revanche, l’Etat n’a pas vu venir la décision d’Akiem, un loueur de locomotives propriété de la SNCF et de la Deutsche Bank. En préférant cet été les motrices de l’allemand Vossloh à celles d’Alstom (produites sur le site de Belfort), la SNCF a indirectement précipité la restructuration du site franc-comtois et le transfert de sa production à Reichshoffen, en Alsace, un autre site en sous-charge.

  • Que peut faire désormais l’Etat ?

Aujourd’hui, l’Etat a trois leviers pour peser sur les choix économiques et industriels d’Alstom. Il dispose avant tout, et encore au minimum pendant un an, de 20 % des droits de vote au sein du conseil d’administration du constructeur.

Au moment de la cession de la branche énergie d’Alstom en février 2015, Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, avait négocié avec Bouygues, premier actionnaire du groupe (28,3 %), le prêt pour vingt mois de 20 % des actions (et des droits de vote). A partir de novembre 2017, Alstom pourra racheter à Bouygues ces 20 % du capital au prix du marché s’il le souhaite. S’ils veulent anticiper cet achat, le prix est fixé à 35 euros l’action (23,71 euros au cours de lundi 12 septembre).

Cette présence au conseil d’administration permet à l’Etat d’écouter les débats et de faire passer ses idées. Mais ce seuil n’est pas suffisant pour enrayer une décision de transfert de production d’un site à l’autre.

L’Etat dispose également du « pouvoir de la parole ». Il est en train d’établir un rapport de force avec le groupe ferroviaire, afin de le contraindre à réorienter ses choix. Cependant, cela n’a économiquement aucun intérêt de conserver une usine dont les effectifs ont sombré ces vingt dernières années avec la chute du fret et la saturation du marché (des TGV). Le risque est de mettre le groupe en difficulté économique.

  • L’Etat peut-il lancer de nouvelles commandes ?

C’est son levier de choix. En tant qu’actionnaire de la SNCF, monopole et premier client d’Alstom, il peut peser sur sa direction pour choisir Alstom au détriment de ses concurrents. Par le passé, il l’a déjà fait à de nombreuses reprises. Notamment, quand il fallait pousser la SNCF à racheter des TGV dont elle n’avait pas besoin…

Le gouvernement peut également passer des appels d’offres directement, à l’instar de ce qu’il a fait pour les trains Intercités, dont il est l’autorité organisatrice. Il a déjà passé commande de trente Intercités, dont Alstom devrait être notifié dans les prochaines semaines.

Il prévoit également de lancer d’autres commandes. Au lieu de passer par des contrats-cadres existants (celui des Regiolis, par exemple), le gouvernement a décidé de relancer des appels d’offres. Ce processus peut prendre trois à cinq ans avant d’arriver à l’étape de production.

Lundi après-midi, en visite dans un organisme de formation à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), François Hollande a évoqué cette piste. « J’ai donné cette direction : nous devons nous mobiliser pour qu’il y ait plus de commandes qui soient apportées (…), a-t-il lancé. Il faut se mobiliser aussi pour défendre notre industrie (…). Quand il y a de grandes filières qui doivent être soutenues, nous devons nous engager. En ce moment, c’est le cas pour la filiale ferroviaire avec Alstom. »

« Nous devons apporter des commandes et c’est le rôle des acteurs publics : régions, entreprises de transport, SNCF, RATP dans le cadre des marchés qui existent et qui doivent être respectés », a poursuvi le chef de l’Etat.

Mais même si Alstom doit développer le TGV du futur, et qu’il espère construire la prochaine génération de tramway, de métro (Grand Paris) ou de RER (E et D), il ne pourra pas remporter tous les appels d’offres. Bombardier, qui dispose de la plus importante usine ferroviaire française – à Crespin (Nord) –, ou l’espagnol CAF, qui a son usine à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), doivent également remporter des contrats pour maintenir leur activité.