Chronique d’un matin ordinaire dans les installations portuaires du port de Calais. Repérés à un des points de contrôle, des réfugiés sortent un à un d’un camion bâché de jaune. Ils ont entre 20 et 30 ans, des chaussures rafistolées aux pieds et des vêtements tâchés sur les épaules. Alignés contre le hangar en tôle et classés par nationalité – Irakiens, Afghans -, ils ont face à eux des policiers en gilets fluo et, moins ordinaire, un attroupement de costumes-cravates et de cameramen.

Au milieu, Nicolas Sarkozy assiste à la scène aux côtés de Natacha Bouchard, maire Les Républicains (LR) de la ville et de Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France. Non loin des réfugiés, l’ancien chef de l’Etat échange quelques mots avec le chauffeur étranger pour s’enquérir sur la façon dont ils sont montés à bord.

« C’est quelque chose d’effrayant cette démission, cette absence d’autorité [de l’Etat] », déclare-t-il après avoir parlé à un policier qui lui explique que ces hommes seront renvoyés dans la « jungle ». Quelques heures plus tard, des dizaines de grenades lacrymogènes seront tirées par les policiers contre des réfugiés prenant d’assaut la rocade.

« Problème réglé à l’été 2017 »

La « jungle de Calais » s’est invitée dans la campagne électorale. La fuite dans la presse du plan du gouvernement pour répartir 12 000 réfugiés sur tout le territoire a provoqué une montée au créneau des ténors les plus droitiers. Le président par intérim du parti, Laurent Wauquiez, a mis en ligne, le 16 septembre, une pétition intitulée « Non à la création de jungles sur l’ensemble du territoire ».

Attentif aux tressaillements de l’actualité, l’ancien président de la République a aussitôt sauté sur l’occasion pour organiser ce déplacement à Calais. Un lieu symbolique pour illustrer sa ligne de fermeté sur l’immigration.

Après la visite du port, il a assisté à une table ronde à la mairie de Calais où il a échangé avec des professionnels, des habitants et des syndicats de policiers. « Je suis là pour rencontrer des Calaisiens, pas pour visiter la jungle, car la jungle, je veux qu’elle parte », a-t-il lancé en préambule – Alain Juppé l’avait lui visitée en janvier – avant d’évoquer Sangatte, le camp dont il avait supervisé le démantèlement en 2002, un de ses premiers faits d’arme place Beauvau : « Celui qui a fait ça a quelque légitimité pour parler de Calais. »

Devant certains habitants plutôt favorables au plan du gouvernement, Nicolas Sarkozy est venu avec un message simple : lui, ancien ministre de l’intérieur, a l’expérience ; lui, futur président résoudra cette crise dans sa globalité. « La question n’est pas de vider la jungle et de la mettre dans mille, cent ou dix endroits car si les frontières restent des passoires, dans six mois, je reviens à Calais et ce sera la même chose », a-t-il estimé avant de s’engager : « A la fin de l’été 2017, le problème de la jungle sera réglé. »

Pour cela, le candidat à la primaire promet rétablir les contrôles aux frontières tant que les accords de Schengen ne sont pas renégociés, de réécrire les accords du Touquet – qu’il avait lui-même signés en 2003 – pour obliger les Britanniques à traiter les demandes d’asile qui concernent leur pays dans un centre créé par eux, mais aussi de renvoyer immédiatement les réfugiés dont la demande est rejetée par la France.

Sur ce problème complexe, les voix divergent dans sa propre famille politique : Xavier Bertrand a assimilé la pétition de M. Wauquiez à une méthode frontiste, ce dernier l’a comparé à un « Harlem Désir des années 1980 », selon Valeurs actuelles.

Nicolas Sarkozy peut compter sur le soutien de Natacha Bouchard. Engagée dans sa campagne, la maire de Calais approuve les solutions de long terme de l’ancien président de la République, mais est aussi opposée à la ligne dure qui ne veut pas de la répartition des migrants. « Il y a six mois, il y avait 4 500 réfugiés, maintenant il y en a plus de 10 000. S’ils ne démantèlent pas aujourd’hui, ils seront 20 000 dans six mois », confie-t-elle au Monde.

Les réfugiés comparés à des « dégâts »

Surfant sur l’actualité migratoire, Nicolas Sarkozy poursuit avec ce déplacement une campagne sans surprises. Comme en 2007 et 2012, il flatte la droite dure, clive grâce à de petites phrases et hérisse ses opposants. Mercredi, il a parlé d’une France « submergée » et a critiqué le plan du gouvernement en comparant les réfugiés à des « dégâts » : « Si chez vous, il y a un problème dans une pièce, ce n’est pas grave, les dégâts dans la pièce, je les mets dans la pièce à côté. J’ai réglé les raisons du dégât dans la première pièce ? Non, j’ai dégradé la seconde… ».

Lundi, l’ancien « petit Français de sang-mêlé » avait assuré : « Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois. » La semaine dernière, il s’affichait climatosceptique. A chaque fois, les réactions outrées se multiplient.

« Nicolas Sarkozy a choisi une stratégie qui est exactement parallèle à celle de Trump. (…) Il trouve dans la polémique un carburant électoral », a dénoncé, mercredi, François Bayrou, président du MoDem, lors de l’émission « Questions d’info » sur LCP, en partenariat avec Le Monde-AFP-France Info. « Quand Nicolas Sarkozy dit que la France va être submergée par les réfugiés, nous sommes plutôt submergés par sa démagogie », a riposté Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères, mercredi sur BFMTV. Des critiques qui ravissent son équipe rapprochée.

« Il donne le tempo, il impose les thèmes de la campagne. Ça me fait penser à 2007 », espère Sébastien Huyghe, député du Nord. Une époque où les Calaisiens attendaient déjà des réponses…