Un Rafale en exercice à Solenzara, en Corse, en mars 2016. | © Charles Platiau / Reuters / REUTERS

Deux signatures comme un point final à un long feuilleton. Les ministres de la défense indien et français, Manohar Parrikar et Jean-Yves Le Drian, ont apposé, vendredi 23 septembre, à New Delhi, leurs paraphes sur le contrat avalisant l’achat par l’Inde de 36 avions de chasse Rafale construits par Dassault Aviation.

Selon une source proche de la délégation française, le premier appareil devrait être livré en 2019, et tous les avions seront ensuite livrés dans les trente mois qui suivent. Le montant du contrat n’a pas été dévoilé mais, selon cette même source, « le chiffre annoncé de 8 milliards d’euros, donné dans la presse indienne, correspond à l’ordre de grandeur ». Cet accord comprend également un volet sur les « offsets » – transferts de technologies et contreparties industrielles –, dont la valeur représente 50 % du contrat.

Jusqu’au bout, les Indiens auront négocié, pied à pied, le prix du Rafale. En mars 2016, le ministre indien de la défense ne cachait pas ses intentions : « Je suis dur en négociation. Laissez-moi économiser l’argent de la nation ! » Avant d’ajouter : « Un bon acheteur ne met pas en avant ses faiblesses. Il n’abat ses cartes qu’à la fin. Au nom de l’intérêt de la nation, ne me demandez pas de les révéler ! »

Les faiblesses de l’Inde ne sont pourtant pas si difficiles à deviner. Le pays ne disposait, en 2015, que de 35 escadrons, de 18 appareils chacun, alors qu’il lui en faudrait au minimum 41 à 45 pour faire face à un conflit avec le Pakistan et la Chine. « Nous avons besoin de 6 escadrons d’avions de type Rafale », expliquait, en octobre 2015, le chef d’état-major de l’armée de l’air indienne.

« Ce n’est pas le nombre d’avions qui importe mais la capacité militaire », insiste Nitin Gokhale. Selon cet analyste spécialisé dans les questions de défense, le Rafale est capable d’effectuer 6 rotations par jour, contre 3 à 5 pour les autres appareils de la flotte indienne. Il est aussi capable de parcourir jusqu’à 1 050 kilomètres par rotation, contre 600 pour l’avion de combat russe Sukhoi-30. « Le missile air-air de toute dernière génération Meteor, dont le Rafale sera équipé, peut atteindre l’intérieur du Pakistan sans qu’il ait besoin de traverser la frontière », poursuit M. Gokhale. Outre ses capacités techniques, « le choix du Rafale est un choix politique, celui de renforcer un partenariat stratégique avec la France », ajoute l’analyste Chitrapu Uday Bhaskar.

Une signature politiquement risquée

Reste à payer la facture. Et celle-ci est particulièrement salée en cette période de disette budgétaire. En 2016, le ministère de la défense a promis une revalorisation de 30 % des pensions de retraite versées aux militaires qui pèse lourd dans son budget. Les achats d’équipement et de matériel, qui sont compris entre 8 et 9 milliards d’euros par an, ne représentent plus que le quart du budget du ministère de la défense, contre le tiers en 2006.

La signature du contrat, par son ampleur, est aussi politiquement risquée. Le gouvernement indien va dépenser, pour les avions de combat, l’équivalent d’un an et demi de son budget consacré à la santé. Dans un pays où des dizaines de millions de patients tombent sous le seuil de pauvreté et doivent s’endetter pour se soigner, où les hôpitaux publics sont délabrés, le contrat pour les Rafale risque de soulever quelques critiques. Cependant, ces protestations devraient avoir moins de poids aujourd’hui alors que des voix s’élèvent pour réclamer des représailles militaires contre le Pakistan après l’attaque, dimanche, d’une base militaire au cachemire qui a tué 18 soldats indiens. L’annonce du rachat des Rafale tombe à cet égard à point nommé pour le premier ministre, Narendra Modi.

L’acquisition des avions français, assemblés en France et non en Inde, comme initialement espéré par le gouvernement indien, écorne néanmoins l’un des axes forts de la politique économique de M. Modi, à savoir le programme « make in India ». Lors du salon aéronautique de Bangalore en 2015, le chef du gouvernement déclarait que son pays émergerait comme « un centre mondial dans l’industrie de la défense ». L’Inde, premier importateur d’armes au monde, en est encore loin. Seule, dans ce dossier du Rafale, la bureaucratie indienne, réputée complexe et imprévisible, aura été on ne peut plus « make in India ». La moindre décision, surtout pour un contrat de cette ampleur, a été validée, et revalidée. New Delhi craignant de subir un nouveau scandale de corruption, comme celui qui a précipité à la fin des années 1980 la chute du premier ministre Rajiv Gandhi, soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin du groupe suédois d’armement Bofors.

En 2000, un rapport recommandait d’améliorer les procédures d’acquisition au sein du ministère indien de la défense. Il dénonçait notamment l’« absence d’une structure professionnelle consacrée à l’approvisionnement ». Un diagnostic encore valable aujourd’hui.