Michel Vialay (au centre), maire Les Républicains de Mantes-la-Jolie, lors d’un hommage, le 18 juin, au couple de policiers assassiné par Larossi Abballa. | DOMINIQUE FAGET / AFP

En cette matinée de septembre, le cimetière de Gassicourt est désert. Jouxtant l’église Sainte-Anne, dans le quartier ouest de Mantes-la-Jolie (Yvelines), l’endroit, immense, est bordé d’immeubles HLM. A la bordure est, la division 10 regroupe plusieurs tombes de défunts musulmans. Depuis plusieurs mois, une bataille juridique sans précédent perturbe la quiétude de cette discrète parcelle rectangulaire. Le maire de Mantes-la-Jolie, Michel Vialay (Les Républicains, LR), refuse d’y enterrer Larossi Abballa, le terroriste qui, en juin, a assassiné un couple de policiers à son domicile de Magnanville. Refusant de se prononcer sur le fond, le tribunal administratif de Versailles a renvoyé l’affaire devant le Conseil d’Etat, lors d’une décision rendue jeudi 22 septembre.

En déposant de manière inédite une question prioritaire de constitutionnalité dans une telle affaire, l’avocat de la commune a voulu esquiver l’impasse juridique à laquelle s’étaient heurtés d’autres édiles confrontés à une situation similaire. En janvier 2015, le député et maire de Reims n’avait pu s’opposer à l’inhumation de Saïd Kouachi, le terroriste coauteur de l’attentat contre Charlie Hebdo, dans un cimetière communal. « Je suis allé jusqu’au bout, mais la loi ne me donnait pas le choix », explique Arnaud Robinet (LR), le premier à s’être publiquement opposé à l’accueil de la dépouille mortelle d’un terroriste.

Le code général des collectivités territoriales interdit en effet à un édile « d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort ». Autorisant par ailleurs chaque personne à être enterrée, entre autres, dans sa ville de résidence, il enlève toute possibilité légale de s’opposer à l’inhumation d’un terroriste.

La « manœuvre » de l’avocat de Mantes-la-Jolie est jugée « habile mais hors de propos » par celui de la famille Abballa. « En aucun cas un maire ne peut s’arroger le droit de choisir qui il enterre », affirme Me Victor Lima, soulignant les dérives qu’un tel pouvoir pourrait entraîner. Car, « au-delà de la question des inhumations, cela concernerait tous les domaines dans lesquels le maire a un pouvoir d’appréciation limité », argue-t-il. « Un no man’s land juridique » qui, dépassant les communes, « remettrait en cause toutes les compétences que l’Etat a décentralisées ».

« Situation plus que délicate »

Pour les maires concernés, c’est justement l’Etat qui aurait dû, dès l’affaire Merah en 2012, s’intéresser à la question. « On ne peut pas nous laisser gérer seuls une question aussi délicate », alerte M. Robinet, insistant sur l’impact émotionnel de l’inhumation d’un terroriste au sein de la population. Car derrière le casse-tête juridique, c’est bien l’aspect moral qui est à l’origine du débat.

« La forte proximité entre le lieu de l’assassinat et le cimetière crée une situation plus que délicate », explique Benoît Jorion, avocat de Mantes-la Jolie, rappelant que l’un des policiers assassinés à Magnanville par Larossi Abballa travaillait à Mantes-la-Jolie. « Cela voudrait dire que ses collègues seraient chargés de sécuriser l’enterrement de son assassin », note-t-il. Avançant un risque de troubles à l’ordre public, renforcé, selon lui, par la proximité de la cité sensible du Val-Fourré, l’avocat rappelle la crainte du maire que la sépulture ne devienne un lieu de « pèlerinage » pour les sympathisants de la cause djihadiste.

Dans les rues de Mantes, les avis diffèrent. « Imaginez qu’un proche des victimes se retrouve sur la tombe de leur meurtrier, c’est impensable, estime un habitant aux abords du cimetière. Sans compter que la ville a déjà très mauvaise réputation. » Un peu plus loin, une jeune femme pense aussi à la douleur des familles, mais du côté du bourreau. « Ce qu’il a fait est vraiment très grave, mais ses parents n’y sont pour rien. » D’accord ou non, tous s’avouent dépassés par l’ampleur de l’affaire et attendent, perplexes, son dénouement judiciaire.