« Allez allez, les Bleu et Blanc de l’Aviron bayonnais. C’est la peña, c’est la peña baiona… » Tout fan de rugby ou amateur de ferias connaît le chant des supporteurs de Bayonne et s’est déjà surpris un jour (malgré lui) à fredonner cet air entêtant.

Pourtant, au risque de casser un mythe, le plus connu des chants de supporteurs de rugby n’est pas hérité de dizaines d’années de tradition. Il date du début des années 2000 et a été créé par une maison de disque. Ou plutôt le Vino griego, chant dont il est issu, a été écrit dans les années 1970 par deux artistes allemands et a été importé en France dans les années 1980 avant d’être repéré par Manex Meyzenc, président des socios de l’Aviron bayonnais et directeur de la maison de disque Agorila Production. Spécialisé dans les musiques de fêtes du Sud-Ouest, il reprend ce Vino griego sur lequel il pose les paroles actuelles. « On l’a testé dans les peñas et c’est devenu le meilleur hymne », résume Manex Meyzenc.

Hymne de la Peña Baiona (Vino Griego) - Aviron Bayonnais Rugby Pro
Durée : 03:49

Un succès qui tient lieu aujourd’hui d’exemple. Plusieurs clubs espèrent ainsi trouver leur propre hymne pour mieux marquer les esprits.

Les voisins béarnais des Bayonnais, la Section paloise a ainsi lancé La Honhada en 2012, un hymne composé sur un air irlandais après avoir tenté d’installer En avant la section dans le stade dix ans auparavant. Biarritz s’appuie, lui, sur le chanteur basque Michel Etcheverry, qui interprète en 2001 l’Aupa BO, arrangée avec une musique electro pour faire chanter ses supporteurs, quand Montpellier a repris cette année Se Canta, l’hymne occitan.

Ferveur dans le stade

Dax, Toulouse, Mont-de-Marsan, Albi… On pourrait multiplier les exemples à l’infini de clubs qui veulent fédérer leurs supporteurs autour d’un chant identitaire. « Ça implique les supporteurs pour dynamiser l’équipe dans les bons comme dans les mauvais moments », explique Francine Paul, vice-présidente du comité d’animation des supporteurs du Sporting club albigeois (Pro D2) et qui a sollicité Jean-Michel Nespoulous, auteur-compositeur et chanteur des Fascagat, un groupe régional connu pour le tube Le Cochon dans le maïs. Francine Paul espère en tout cas que le chant Ô SCA, un hymne « dans l’esprit de la peña baiona », créera « une grande ferveur dans le stade ».

Il ne reste plus qu’à les faire adopter et chanter par les supporteurs. Le plus compliqué sans doute. Francine Paul en a parfaitement conscience : « Ça ne se fait pas du jour au lendemain. Je fais des photocopies pour les diffuser pendant les matchs et faire chanter. Il faut qu’un petit groupe l’entonne d’abord. »

Car il y a un paradoxe dans le « supportérisme » du ballon ovale. Si la tradition du chant est ancrée dans l’histoire du rugby français, la recherche d’un hymne à la gloire du club est, elle, relativement récente. « Les clubs nous contactent depuis une vingtaine d’années, estime Manex Meyzenc. On essaye de faire bouger les gens, que ça devienne vraiment un spectacle. On est là pour faire des propositions. Le but, c’est que le morceau soit joué partout. »

 

« Les clubs ont compris qu’ils étaient des entreprises, qu’ils étaient devenus des marques et qu’ils devaient se singulariser sur un marché. »

Beñat Monca, l’un des fondateurs de la première banda rugbystique du Stade toulousain, avait tenté de lancer un chant à la fin des années 1970. Sans succès. « Ce n’était pas dans la culture de l’époque. Aujourd’hui, les clubs ont besoin d’une identification. »

La professionnalisation du rugby serait directement responsable de cette volonté de réaffirmer une identité régionale voire locale selon Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne-Franche-Comté et auteur de l’article universitaire Le rugby à la croisée du management et de la communication : « Les clubs ont compris qu’ils étaient des entreprises, qu’ils étaient devenus des marques et qu’ils devaient se singulariser sur un marché. »

Avec ses bandas et ses chants, le rugby véhicule une image festive qui séduit. « Aller à un match de rugby, c’est l’assurance de ne pas s’ennuyer. Il y a toujours du spectacle. On vous vend tout le package. Les valeurs de partage, de fête et de solidarité sont mises en avant. Elles sont fédératrices et valorisantes donc on essaye d’en tirer profit », analyse le chercheur.

Marketing

La médiatisation croissante pousse les clubs à développer tous les outils marketing à leur disposition. « La Pro D2 est de plus en plus médiatisée. A travers la télé il faut donner une image dynamique et vivante », explique la responsable communication de l’US Dax qui a récemment relancé sa mascotte et encourage ses trois associations de supporteurs.

Même le Pilou-pilou, le fameux cri de guerre toulonnais, a été mis en scène pour passer devant les caméras. Ecrit dans les années 1940 par un ancien joueur du Rugby Club Toulonnais (RCT), il a été chanté par plusieurs générations de supporteurs dans les gradins du stade avant d’être importé sur le terrain par Mourad Boudjellal, président du RCT depuis 2006. Cédric Abellon, membre des Fadas, l’un des groupes de supporteurs toulonnais, a été repéré par le président : « Avant, je le faisais dans les tribunes. Boudjellal est venu voir les Fadas. Je l’ai fait au bord du terrain pour le médiatiser. »

Depuis neuf ans, le lanceur officiel du Pilou-pilou harangue la foule bénévolement avant chaque match à domicile au stade Mayol. « Ça a pris plus d’ampleur depuis que le club est au top. C’est vraiment l’identité du RCT maintenant, affirme Cédric Abellon. Même les supporteurs de l’autre équipe attendent le Pilou-pilou. Ils prennent des photos avec moi. » Le tatoueur de profession, dont le salon est situé juste à côté du stade Mayol, est en effet la meilleure des mascottes. Blason du RCT tatoué sur le mollet droit, il arrive parfois sur le terrain avec un dessin tribal tatoué au henné sur le visage.

Toulon Pilou Pilou HD
Durée : 00:55

Du côté du Stade toulousain, on ne désespère pas d’entendre un jour un véritable hymne dans les travées du stade Ernest-Wallon. « Ça nous plairait énormément. C’est quelque chose qui manque vraiment à Toulouse », assure Jean-Marc Arnaud, président du Huit, le club de supporters du Stade toulousain. Il définit son club de « vache maigre » en termes d’animations dans le Top 14. « Ce n’est pas une priorité pour le club. Ils préfèrent vendre des maillots et des produits dérivés. » Il semblerait que ce soit en train de changer. Manex Meyzenc avoue travailler actuellement à un projet de chant pour les Rouge et Noir : « C’est encore à l’étude. On a fait pas mal de maquettes. On cherche des sons un peu spéciaux, des sons occitans, pour représenter la région. »

Beñat Monca, désormais responsable de la banda du Stade toulousain féminin, réessaye de lancer un chant pour son équipe qui évolue dans le Top 8 (première division féminine) en utilisant la recette à la mode : « Le contexte actuel veut qu’on prenne un air connu et qu’on mette des paroles dessus. » Contacté au début de septembre, Jean-Michel Nespoulous a donc repris un air populaire et l’a adapté avec des paroles à la gloire du Stade toulousain. « C’est une surprise pour les joueuses. Je n’en parle pas. On leur présentera au prochain match », conclut Beñat Monca.