Des familles endeuillées attendaient encore, samedi 24 septembre au matin, le retour des bateaux dans le port de Rosette (Egypte), dans le delta du Nil. Au fil des découvertes macabres des garde-côtes, le pays prend la mesure de la tragédie qui s’est déroulée à douze kilomètres au large de son littoral méditerranéen.

Au moins 162 personnes, dont beaucoup de femmes et d’enfants, ont trouvé la mort, mercredi, dans le naufrage d’un bateau de pêche transportant des migrants vers l’Italie, selon le dernier bilan provisoire établi par les autorités.

Les recherches se poursuivent pour retrouver d’autres corps. Selon les témoignages recueillis parmi les 163 rescapés, au moins 450 personnes étaient à bord de l’embarcation. Parmi elles se trouvaient une majorité d’Egyptiens, ainsi que des Syriens, des Soudanais, des Somaliens, des Ethiopiens et des Erythréens.

Cette tragédie porte à 3 500 le nombre de morts ou de personnes portées disparues en Méditerranée en 2016, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les rescapés de Rosette ne doivent leur salut qu’à la présence d’un navire de pêche au moment du naufrage, mercredi, au lever du jour, a indiqué le président du conseil local, Ali Abdel-Sattar.

Point de départ privilégié

Il a fallu cinq heures aux garde-côtes pour rejoindre les lieux, a-t-il précisé à l’Associated Press (AP). « Le bateau était fait pour transporter 200 personnes et ils en ont mis 400. C’est ce qui a causé la catastrophe. Ceux qui savaient comment nager se sont éloignés, laissant derrière eux les femmes et les jeunes enfants », a commenté Ahmed Darwich, l’un des survivants interviewés par AP. Quatre Egyptiens, passeurs présumés, ont été arrêtés sur des soupçons de « trafic d’être humains » et d’« homicide involontaire », selon les autorités.

L’Egypte appréhendait une tragédie de cette ampleur. Sa côte méditerranéenne est devenue un point de départ privilégié vers l’Europe depuis la fermeture de la route des Balkans aux migrants et le contrôle accru des frontières turques après l’accord signé entre Ankara et l’Union européenne (UE) en mars. Selon l’OIM, la Libye reste la principale route de migrations vers l’Europe, mais l’Egypte, par sa position centrale, gagne en intérêt pour les migrants, notamment africains.

Le nombre de migrants qui ont effectué une traversée – jugée périlleuse – depuis l’Egypte a déjà augmenté de façon significative en 2015, avait alerté, en juin, l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR), les départs depuis l’Egypte en bateau comptent désormais pour environ 10 % des arrivées en Europe.

Cinq millions d’immigrés clandestins

Les candidats au départ se recrutent parmi les cinq millions d’immigrés clandestins – dont une moitié de Soudanais – présents sur le territoire égyptien. Mais plus nombreux encore à tenter la traversée sont des mineurs et des jeunes hommes égyptiens. La part croissante des mineurs non accompagnés parmi les immigrés clandestins qui rejoignent l’Europe depuis 2011 est un sujet qui préoccupe particulièrement l’Egypte.

En 2015, les mineurs ont constitué 1 711 (soit 66 %) des 2 610 immigrés clandestins égyptiens arrivés en Italie, selon l’OIM. Souvent originaires de zones rurales, ces jeunes partent en quête d’opportunités d’emploi ou d’éducation, poussés par la crise économique ou appâtés par le succès de ceux ayant émigré avant eux. Les parents et les proches aident souvent à financer le coût de la traversée, qui varie entre 3 000 à 5 000 dollars (jusqu’à 4 500 euros).

« Cette tendance croissante est due à la législation italienne qui permet aux mineurs de rester dans des centres d’accueil et de n’être renvoyés que s’ils le demandent et que la famille l’accepte », pointe la diplomate égyptienne Naela Gaber.

Définir une stratégie d’action globale

Rapatrier ces mineurs est l’une de ses priorités : « Ils font l’objet d’exploitation sexuelle dans les gares et de travail forcé. Ils sont utilisés dans le trafic de drogue et d’organes. » A la tête du Comité interministériel de coordination de prévention et de lutte contre l’immigration illégale, créé en mars 2014, Mme Gaber travaille à la définition d’une stratégie d’action globale.

Un projet de loi sur la lutte contre l’immigration clandestine et le transfert illégal de migrants a été finalisé et doit être prochainement voté par le Parlement. Il crée le crime de trafic illégal de migrants, assorti d’une peine pouvant aller jusqu’à la perpétuité.

La sévérité des peines encourues se veut dissuasive sur les passeurs qui opèrent jusqu’à présent avec une certaine liberté. Certains n’hésitent pas à diffuser leurs coordonnées, les tarifs ainsi que les dates de traversée sur les réseaux sociaux.

« Les gardes-frontières font bien leur travail mais le problème est que souvent les passeurs sont arrêtés puis relâchés », déplore Naela Gaber. Toutefois, estime-t-elle, « c’est une perte de temps et d’énergie que d’envisager la question sous son seul aspect sécuritaire, en renforçant les arrestations et les patrouilles en Méditerranée. Il faut voir la question sous une autre perspective, celle du développement et des opportunités à offrir à ces jeunes. »