Editorial Pékin s’en réjouit, Paris n’est pas fier. Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur, en juillet 2015, d’un accord d’extradition avec la Chine, la France a livré un ressortissant chinois en fuite. Il s’agit d’un officiel, Chen Wenhua, accusé par Pékin d’avoir détourné plus de 2,7 millions d’euros de fonds publics. Cette victoire chinoise est le fruit d’une longue démarche politique, engagée dès 2001.

Après avoir repoussé l’échéance depuis sa signature en 2007, sous la présidence de Jacques Chirac, entre les gouvernements français et chinois, le Parlement français a finalement ratifié sous la mandature de François Hollande cet accord d’extradition. Les Français ont certes négocié des garde-fous avec le pays champion du monde des exécutions capitales. L’accord exclut les rapatriements dans les affaires politiques et lorsque le prévenu encourt la peine de mort. Il n’empêche, l’affaire suscite un profond malaise.

Etait-il opportun de se contraindre juridiquement vis-à-vis d’un Etat qui pratique la torture ?

Etait-il opportun de se contraindre juridiquement vis-à-vis d’un Etat qui pratique la torture et ignore le principe d’indépendance de la justice pour lui préférer la suprématie du Parti communiste ? Le cas de Chen Wenhua aurait dû susciter d’avantage d’interrogations. Bien sûr, la France n’a pas vocation à accueillir chez elle les responsables politiques escrocs. Paris souligne que l’individu consentait à son rapatriement, que la diplomatie française continuera de se pencher sur son sort en Chine et qu’elle bloquera les extraditions suivantes en cas de manquements graves. Ce discours est présomptueux. Le consentement d’un individu dont les proches peuvent avoir été menacés peut être faussé et la Chine ne laisse pas accéder les gouvernements étrangers aux individus rapatriés, dont on perd bien souvent la trace.

L’affaire est un casse-tête. La communauté internationale doit continuer d’ouvrir les bras à la Chine pour amplifier son intégration mondiale, commencée en 1972 par la visite de Richard Nixon à Pékin. Le problème est que l’évolution du pays le plus peuplé du monde n’est pas linéaire. Il a connu de sévères rechutes, avec Tiananmen en 1989, la répression au Tibet en 2008 et depuis l’avènement en 2013 de Xi Jinping, dont la campagne contre la corruption s’apparente aussi à une purge.

Censure de la presse

La normalisation de la Chine est loin d’être acquise. En témoigne la condamnation, jeudi 22 septembre, à douze ans de prison de l’avocat des droits de l’homme Xia Lin, qui défendit notamment l’artiste star Ai Weiwei. En attestent aussi l’actuelle campagne contre les avocats, la censure de la presse ou la répression des habitants du village de Wukan qui ont osé manifester contre la cession de leurs terres par des officiels corrompus.

Sur le tableau international aussi, la Chine se montre bien plus agressive que par le passé, ignorant l’arbitrage qui a constaté début juillet le caractère illégal de ses prétentions en mer de Chine méridionale.

Il faut fixer des lignes rouges à la Chine, même si la réponse à apporter n’est pas facile. Nicolas Sarkozy le sait, qui subit de sérieuses déconvenues après avoir rencontré en 2008 le dalaï-lama. Pourtant, que ce soit par sentiment de nécessité économique ou pour éviter une discussion difficile, on cède trop souvent à la Chine. En réalité, ce n’est pas lui faire de cadeau car cette même Chine ne saurait atteindre ses objectifs – prospérité durable, reconnaissance internationale, stabilité politique – en faisant l’économie de l’Etat de droit.