« Les universités ont peu investi l’international, à l’exception de cas emblématiques, comme Sorbonne Abou Dhabi » (photo), constate le rapport. | Panorama (CC BY-ND 2.0)

La France est-elle un acteur majeur ou mineur dans l’internationalisation, si rapide depuis deux décennies, de l’enseignement supérieur ? Quels sont ses atouts et ses faiblesses à cet égard dans la compétition mondiale qui fait rage entre grandes institutions ? Comment améliorer sa position ?

Telles sont les questions auxquelles répond un rapport publié lundi 26 septembre, le plus exhaustif et le plus qualitatif de ces dernières années. Intitulé « L’Enseignement supérieur français par-delà les frontières », il avait été commandé l’an passé par trois ministres (Laurent Fabius, Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon) à France Stratégie. Cet organisme de réflexion auprès du premier ministre en a confié la direction à Bernard Ramanantsoa, directeur général honoraire d’HEC Paris après en avoir présidé la destinée de 1996 à 2015.

Le bilan dressé par le rapport peut paraître impressionnant. Les établissements français disposent de 604 programmes à l’étranger, dont près de 326 diplômes délocalisés, et comptent 140 implantations dans le monde, qu’il s’agisse de franchises (62), de campus internationaux (40) ou d’établissements associés (38). Ces programmes accueillent 37 000 étudiants, dont 38 % en Asie, 28 % en Afrique et 18 % au Proche ou Moyen-Orient. Le Maroc, le Vietnam et la Chine sont les trois pays dans lesquels l’offre des établissements français à l’étranger est la plus développée mais, en termes d’effectifs, la Chine arrive en tête (4 514 étudiants), devant le Liban et le Maroc.

Le rapport livre d’intéressantes comparaisons avec les concurrents de la France, mais élude les Etats-Unis – plus de la moitié des campus « offshore » dans le monde sont américains –, faute de données statistiques centralisées dans ce pays.

« Cas emblématiques »

Premier constat : le Royaume-Uni accueille trois fois plus d’étudiants dans ses programmes à l’étranger que la France (253 700 étudiants), et 75 % des institutions d’enseignement supérieur britanniques sont engagées dans une offre dans plus de deux cents pays, en particulier asiatiques. En comparaison, une université française sur deux seulement a des partenariats avec l’étranger et parmi elles, les IAE (instituts d’administration des entreprises) en représentent le quart. Surtout, l’offre universitaire française est éparpillée en une multitude de partenaires étrangers : 263 diplômes délocalisés dans 52 pays auprès de 145 partenaires, pour environ 10 000 étudiants. « Les universités ont peu investi l’international, à l’exception de cas emblématiques, comme Sorbonne Abou Dhabi ou Dauphine Tunis », constate le rapport.

Les écoles d’ingénieurs sont les établissements les plus engagés à l’international, où elles comptent près de 7 000 étudiants (87 % en Asie et 13 % en Afrique), contre environ 3 000 pour les écoles de commerce, sans compter les quelque 4 000 étudiants français qui circulent sur leurs campus délocalisés.

L’Allemagne fait moins bien que la France, avec 23 400 étudiants dans un établissement allemand à l’étranger, dans une logique non commerciale orientée vers la recherche scientifique, à l’opposé de celle du Royaume-Uni. Mais Berlin entend rattraper son retard : des financements spécifiques sont consacrés à l’internationalisation des universités allemandes depuis 2013.

Globalement, l’offre française est plutôt de niche, sur des formations au niveau master et second cycle ou bien dans des domaines spécialisés (hôtellerie, mode) avec des implantations de taille limitée, loin des gros effectifs britanniques ou australiens. Cette offre est entièrement en français dans 57 % des programmes, mais en Chine, près de la moitié des cursus français sont uniquement délivrés en anglais. Le rapport prône un bilinguisme partout.

« Stratégie volontariste »

Deuxième constat, la France accuse un net retard dans les formations diplômantes à distance qu’elle propose pourtant en nombre (138 programmes), mais que seuls 5 668 étudiants étrangers suivaient en 2015, principalement avec le CNAM. Au Royaume-Uni, plus de 110 000 étudiants sont concernés, soit 44 % du total des étudiants inscrits à une formation britannique à l’étranger. En Australie, ils sont plus de 25 000. Pour Bernard Ramanantsoa, il est urgent de « développer une offre de formation à distance rentable », sur le modèle de l’Open University britannique, par exemple.

Le rapport déplore une « absence de stratégie stable et affirmée des établissements où les décisions de déploiement [à l’étranger] tiennent surtout de coups opportunistes souvent issus des équipes pédagogiques et de recherche ». Il appelle le gouvernement à « bâtir une stratégie volontariste » en s’appuyant sur différents leviers : renforcer les instruments de pilotage des services de l’Etat, éclaircir les règles sur l’évaluation des programmes à l’étranger, clarifier et rendre plus incitatifs les financements disponibles pour un développement accru de l’offre. Le rapport invite par ailleurs les pouvoirs publics à « donner plus de marge de manœuvre aux établissements sur les droits d’inscription pour les diplômes nationaux lorsqu’ils sont délivrés à l’étranger ».

Le marché est bel et bien là : on compte aujourd’hui près de 200 millions d’étudiants dans le monde, soit un doublement des effectifs en un peu plus de dix ans. Cette massification s’opère surtout au Sud : en 2000, il y avait un quart d’étudiants en moins dans les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), que dans les pays avancés ; aujourd’hui, ils sont trois quarts en plus ! D’ici à 2030, les effectifs globaux estudiantins devraient encore doubler, et la concurrence entre établissements s’accroître…