Jean Ping (à gauche), le 24 septembre à Libreville. | SAMIR TOUNSI / AFP

Libreville ne s’est pas enflammée. La validation de la réélection d’Ali Bongo Ondimba par la Cour constitutionnelle, dans la nuit du vendredi 23 au samedi 24 septembre, n’a donné lieu à aucune célébration de joie ou mouvement de colère. La rue appartient aux militaires et aux policiers, et la capitale gabonaise semble étourdie par la peur de connaître de nouvelles violences.

Dans le quartier de Rio, Christian prévient : « C’est un calme trompeur. Le président a donné comme mot d’ordre de rester calme, alors rien ne se passe. Mais regardez tout de même, si Ali Bongo avait vraiment gagné avec plus de 50 % des voix, il devrait y avoir de la joie, or, là, c’est une ambiance de cimetière ! » Pour ce chauffeur comme pour tous ceux qui l’entourent, le « président » n’est pas celui que la plus haute juridiction du pays a reconduit à la tête de l’Etat pour un second septennat, mais bien Jean Ping qui, dès samedi, a rappelé qu’il demeure, selon lui, « le président clairement élu par les Gabonais. » Pour Christian comme pour ses acolytes, qui martèlent que « le Gabon n’est pas un royaume où le pouvoir se transmet de père en fils », se pose désormais la question : que faire ?

L’idée de reprendre les manifestations semble, au moins provisoirement, abandonnée. « On ne peut pas aller dans les rues avec des cailloux contre des kalachnikovs », dit-il. Le 31 août, après l’annonce des résultats provisoires, des émeutes avaient éclaté à Libreville et dans plusieurs villes de province avant d’être sévèrement réprimées. Le poids de l’histoire et des liens entretenus avec la France fait naître des espoirs… qui ont toutes les chances d’être déçus. « L’Union européenne [qui a observé le processus électoral et n’a pas caché ses suspicions sur sa transparence] a les vrais résultats. Maintenant, nous attendons une réaction de la communauté internationale. Il faut que la France, mandatée par les Nations unies, intervienne militairement comme en Côte d’Ivoire », ose croire Paterne, un badaud.

Lourds soupçons

Ali Bongo Ondimba n’a reçu aucun message de félicitations des principaux partenaires du Gabon après l’annonce de sa réélection. L’Union africaine et le Maroc ont dit « prendre acte » du verdict. Tout comme les Nations unies, l’ambassade américaine à Libreville « a noté la décision de la Cour constitutionnelle », appelant celle-ci à « publier les détails de ses procédures, par souci de transparence ». Quant à la diplomatie française, par la voix de Jean-Marc Ayrault, elle a constaté que « l’examen des recours n’a pas permis de lever tous les doutes », mais demande « à ceux qui continuent de contester les résultats de récuser l’action violente ». Les chancelleries affichent en langage feutré leur mécontentement, mais n’offrent, pour l’heure, aucune autre solution pour sortir de l’impasse que celle du dialogue proposé par M. Bongo au soir de sa victoire entachée de lourds soupçons de fraude.

« Quel dialogue peut-on avoir quand il y a encore des arrestations arbitraires ? », peste Sylvère, un jeune mécanicien. « C’est seulement pour se partager le gâteau, ajoute Christian. On veut un changement radical, une nouvelle vision. Il faut que nos politiciens pensent l’impensable, imaginent l’inimaginable. » Sont-ils en mesure de le faire ? Casimir Oyé Mba, ancien premier ministre d’Omar Bongo, rallié à la candidature de Jean Ping, avoue sa perplexité. S’il ne manque pas une occasion d’égratigner Ali Bongo Ondimba – « un médiocre », « un tocard » –, cet homme, qui a été dix-neuf années ministre de son père, se montre bien en peine de dessiner une issue à la crise actuelle. Désemparé, il dit ne pas croire à « ce dialogue dont parle Ali », avant d’admettre quelques minutes plus tard : « Pour sortir de cette crise, il faut qu’on se parle, mais c’est à Ali de prendre des initiatives »…  telles que la libération des leaders et des partisans de l’opposition arrêtés ces dernières semaines.

La résignation semble gagner peu à peu l’esprit des dirigeants de l’opposition. Samedi, si Jean Ping a assuré ses partisans de « sa détermination à faire triompher l’alternance et l’idéal démocratique », ses mots étaient pour l’essentiel destinés à la communauté internationale, invitée « à prendre toute la mesure de la situation du Gabon aujourd’hui ». En tant qu’ancien ministre des affaires étrangères de son pays, président de l’Assemblée générale de l’ONU, puis de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping connaît trop bien les arcanes diplomatiques pour ne pas être conscient des limites d’un tel appel.