L’argent n’a pas d’odeur, la banque, si. En tout cas, dans 350 agences du Crédit agricole en France, à Genève et à Shanghaï, flotte un léger parfum de rhubarbe et de thé vert. Une initiative du directeur général adjoint du Crédit agricole Centre-Est, Patrick Kleer. « On voulait quelque chose qui soit quasiment imperceptible, mais surtout conforme à l’image et aux valeurs de notre groupe. Il ne s’agissait pas non plus de donner l’impression d’être dans une ferme !, souligne le dirigeant. Clients et collaborateurs qui entrent dans une agence ­savent qu’on est chez nous. »

Mario Wagner

Donner une odeur à une marque pour incarner les valeurs d’une entreprise ou d’un commerce. C’est une nouvelle étape dans le business du parfum d’ambiance, ce « marketing olfactif » qui n’en finit plus de se développer. Aux Etats-Unis, le marché devrait représenter 500 millions de dollars en 2020, contre 100 en 2013.

Désormais, il ne s’agit plus seulement de placer un diffuseur de parfum d’ambiance dans le hall d’un hôtel, mais de s’infiltrer dans les habitudes du consommateur à coups d’effluves. Les fidèles de la marque de vêtements Zadig & Voltaire sont capables de repérer, au nez, un jean ou un pull de l’enseigne, imprégnés d’une « senteur cosy et élégante pour mettre en valeur l’approche minimaliste et moderne des magasins » conçue par le numéro un du marketing olfactif, l’américain ScentAir. L’enseigne a même mis en vente des bougies d’intérieur pour ses clients.

Par le bout du nez

Même démarche chez Abercrombie & Fitch, marque phare des adolescents américains, qui sature ses boutiques d’un parfum entêtant qu’elle propose à la vente, et aussi, avec plus de retenue, dans le réseau de pharmacies ParisPharma. La chaîne d’hôtels Novotel, elle, a choisi « des notes florales et des touches boisées pour offrir une impression initiale de dépaysement et inviter à la relaxation ». Peut-on pour autant mener sa clientèle par le bout du nez ? « Les commerces et les marques cherchent des sources de différenciation qui portent sur tout ce qui est lié à l’expérience du client. Pourquoi n’exploiteraient-ils pas le syndrome de Proust ? », avance Bruno Daucé, coauteur avec Sophie Rieunier du Marketing sensoriel du point de vente (Dunod, 2013). « Nos humeurs et nos comportements ne peuvent pas être complètement ­ influencés par les odeurs, c’est impossible », affirme l’anthropologue Annick Le Guérer, auteure des Pouvoirs des odeurs (Odile Jacob, 2002), pour qui le marketing olfactif est « très périlleux et ne peut pas prétendre viser juste à 100 % ».

Les concepteurs de ces parfums se défendent d’être des ensorceleurs. « Ce n’est pas parce que vous mettez un parfum déroutant chez Hermès que le quidam va forcément acheter un sac en autruche à 15 000 euros », plaisante ainsi Jean-Louis Carou, qui a créé HBES Aventures olfactives en 2003, 4 000 diffuseurs installés en France. Nulle ­volonté d’enfumer le client, soutient, de son côté, Stéphane Arfi, fondateur de l’agence de marketing olfactif Emosens : « Véhiculer un message (ou les valeurs d’une marque) par des fragrances a le même dessein qu’une campagne d’affichage. Il veut toucher et interpeller. »

Désir de revenir

Plusieurs expérimentations – sans prétentions scientifiques – ont démontré les incidences du parfum sur le comportement du consom­mateur : ce dernier prolonge sa présence en magasin, juge ses temps d’attente plus courts, son expérience de meilleure qualité, perçoit l’établissement comme plus dynamique ou moderne et peut même réaliser davantage d’achats d’impulsion, exprimant le désir de revenir. Et dans trois quarts des cas, le client ne perçoit pas spontanément le parfum. « Fragrances fruitées et caramélisées susciteraient la gourmandise, des parfums de forêt ou des senteurs naturelles (fleurs et végétaux) communiqueraient un certain bien-être. Enfin, le consommateur se sentirait pleinement rassuré par des effluves de vanille, de miel ou de lait », selon les observations de la thèse de Laure Jacquemier (L’Influence de l’odeur sur la perception du bénéfice produit, 2005).

Hôtels, boutiques et centres commerciaux, cinémas ou aérogares, espaces culturels et de loisirs, cabinets médicaux, bureaux et lieux éphémères, et même cérémonies de mariage ont été mis au parfum. Au risque de faire tourner les talons aux nez les plus susceptibles. Dans les parkings Q-Park flotte désormais un parfum de monoï concocté par Emosens. « L’idée était de se couper de l’idée qu’on se fait d’un parking, en y plantant un décor complètement différent, et en l’occurrence ici, la plage et les huiles solaires. Ces odeurs familières contribuent à rassurer les clients », explique Stéphane Arfi. Reste encore un peu de chemin à parcourir avant que les clients plantent leur parasol au niveau – 3.

Les familles olfactives

Les parfums sont classés en sept groupes fondamentaux ou familles d’odeurs.

Les hespéridés regroupent les parfums constitués de zestes d’agrumes (bergamote, citron, orange, mandarine et pamplemousse) et caractérisés par leurs notes fraîches et légères. Les chyprés sont des parfums de caractère basés sur des accords de mousse de chêne, ciste-labdanum, patchouli et bergamote. Les boisés désignent des parfums dominés par des notes boisées telles que le vétiver, le santal ou encore le cèdre. Les floraux aux notes naturelles comprennent des compositions soliflorales (rose, jasmin, muguet, violette…) ou des bouquets floraux. Les fougères sont une alliance de notes lavandées, de géranium, de coumarine et de mousse de chêne. Les orientaux (ou ambrés), chaleureux et sensuels, sont composés de musc, de vanille, d’épices et de bois précieux. Les cuirés sont des parfums très typés qui reproduisent l’odeur du cuir et de la fumée de tabac. A cette palette de la parfumerie fine, le parfum d’ambiance intègre également des compositions fruitées (pêche, figue, fruits rouges, concombre…) et gourmandes (chocolat, noisettes, pain d’épices, barbapapa…).