Le Palais-Royal, qui abrite le Conseil d’Etat, à Paris. | LUDOVIC MARIN/AFP

Le Conseil d’Etat hausse le ton au sujet de la prolifération de lois et de règlements qui semble être une caractéristique française. Après avoir constaté que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou même l’Italie ont mis en œuvre des politiques efficaces de simplification des normes, Jean-Marc Sauvé, le vice-président de l’institution du Palais-Royal, déplore que la situation en France se soit au contraire « aggravée ». Dix ans après une étude sur la « sécurité juridique et la complexité du droit », le Conseil d’Etat choisit de revenir sur ce terrain en consacrant son étude annuelle, publiée mardi 27 septembre, à la « simplification et la qualité du droit ».

Le bilan dressé sonne comme un cinglant réquisitoire. « On ne peut que constater l’insuffisance des études d’impact » qui sont censées accompagner tous les projets de loi du gouvernement, affirme par exemple Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente de la section du rapport et des études. Ces études, recommandées par le Conseil d’Etat en 2006 et consacrées par la réforme constitutionnelle de 2008, « servent souvent à justifier a posteriori des réformes déjà décidées », déplore-t-elle.

L’absence de maîtrise du processus d’élaboration de la loi est criante. Un exemple parmi d’autres, le projet de loi relatif à la transition énergétique qui comportait 64 articles lors de son approbation par le gouvernement est passé à 215 articles après son passage au Parlement à l’été 2015. « A-t-on, à la fin, une efficacité trois fois plus grande dans la maîtrise de la transition énergétique ? », interroge perfidement M. Sauvé.

« Un enjeu de compétitivité »

Le problème de cet empilage de textes est qu’il fait souvent peser le poids de la complexité des règles sur les PME. « La simplification est un enjeu de compétitivité économique et d’attractivité du pays », martèle le patron de la haute juridiction administrative. Cette complexité est également « devenue l’un des premiers facteurs d’exclusion », affirme le rapport, soulignant la difficulté des personnes en situation de précarité face aux arcanes des démarches administratives.

Cette situation n’est pourtant pas une fatalité et nos voisins parviennent à résister davantage à cette pression qui dicterait des lois « en réaction au journal de “20 heures” ». La Chambre des communes britannique vote en moyenne quinze lois par an, et les Pays-Bas s’interdisent de produire deux lois sur un même sujet au cours d’une même législature. « La puissance du Bundestag [la Chambre basse du Parlement allemand] ne tient pas au volume des lois qu’il vote », observe M. Sauvé.

Pour aider à faire émerger une « véritable politique de simplification » qu’il appelle de ses vœux, le Conseil d’Etat liste vingt-sept propositions auxquelles il ajoute six engagements pour son propre compte, puisqu’il est l’un des acteurs de l’élaboration des normes.

En premier lieu, il propose de calculer la charge administrative et les coûts induits par les nouveaux textes. Les outils d’analyse existent et d’autres pays se livrent déjà à ce type d’exercice. Pas la France, faute de volonté politique. La mesure de tels coûts a permis à l’Italie d’inscrire des objectifs chiffrés de réduction de charge dans sa politique de simplification normative.

Quand aux études d’impact, le Conseil d’Etat propose de garantir leur qualité en les soumettant à la certification d’un collège d’experts indépendants. Le travail législatif devant débuter par la question de la nécessité de la réforme et d’une loi pour y parvenir. Parmi ses engagements, le Conseil d’Etat, dont l’avis est sollicité sur les projets de loi du gouvernement, promet de rehausser son exigence en matière de simplification et de qualité du droit. « Il n’y aura plus d’autocensure pour signaler plus fortement l’insuffisance de certaines études d’impact », promet Mme de Saint-Pulgent.

Ce contrôle de qualité ne doit pas s’arrêter à l’amont. Le rapport recommande ainsi que les amendements les plus importants apportés par le gouvernement ou les parlementaires, lors du débat législatif, soient également soumis à une évaluation en termes d’impact. A l’autre bout de la chaîne, le Conseil constitutionnel a lui aussi promis qu’il serait plus vigilant sur la qualité de la production législative.