En 2000, Tanger était une ville côtière endormie du Nord du Maroc. Quinze ans plus tard, la population tangéroise a triplé, et la ville est devenue une aire métropolitaine dynamique de 1,5 million d’habitants. Les zones franches de la ville ont attiré de nouvelles industries, comme des constructeurs automobiles et plus récemment l’avionneur américain Boeing. Un nouveau quartier d’affaires, Tanger City Center et des satellites apparaissent autour de la vieille ville, de sorte que ses habitants peuvent bénéficier d’infrastructures et d’installations modernes qui leur faisaient cruellement défaut. Un nouveau train à grande vitesse en cours de construction permettra à la population d’accéder à l’aéroport international ultramoderne Ibn Batouta.

Des exemples comme celui-ci montrent que l’urbanisation transforme en profondeur les sociétés africaines. L’Afrique s’urbanise deux fois plus vite que ne l’a fait l’Europe. La part des citadins dans la population africaine est passée de 14 % en 1950 à 40 % actuellement. S’il a fallu 110 ans à l’Europe, entre 1800 et 1910, pour passer de 15 % à 40 % de citadins, cette évolution n’a pris que 60 ans en Afrique. Le continent s’urbanise à un rythme historiquement élevé en même temps qu’il enregistre un essor démographique sans précédent, si bien que la population qui réside en ville a doublé entre 1995 et 2015, pour atteindre 472 millions de personnes. En 2050, environ 56 % des Africains devraient vivre dans des villes.

Immense potentiel

A n’en pas douter, les villes et bourgs d’Afrique sont les moteurs d’une croissance qui, correctement maîtrisée, peut nourrir le développement durable de l’ensemble du continent. De fait, les Perspectives économiques en Afrique 2016 concluent que l’urbanisation de l’Afrique est porteuse d’un immense potentiel d’accélération de la transformation structurelle qui alimente la croissance économique.

Les deux tiers des investissements dans les infrastructures urbaines nécessaires à l’horizon 2050, compte tenu de la croissance de la population, n’ont pas encore été effectués. C’est là une formidable opportunité.

L’urbanisation élargit, par exemple, la base des consommateurs, au bénéfice des producteurs africains de denrées alimentaires. Les zones urbaines représentent 40 % de la population totale, 50 % de la consommation alimentaire totale et 60 % du marché alimentaire. D’après les estimations du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, un organe de l’OCDE, cette situation a généré une économie alimentaire pesant 180 milliards USD en 2010, soit l’activité la plus importante, et de loin, du secteur privé de cette région.

Il faut savoir que les deux tiers des investissements dans les infrastructures urbaines nécessaires à l’horizon 2050, compte tenu de la croissance de la population urbaine, n’ont pas encore été effectués. C’est là une formidable opportunité économique pour les investisseurs locaux comme étrangers, qui pourrait générer des millions d’emplois. Le renforcement de la productivité agricole, de l’industrialisation et des services, stimulé par l’expansion de la classe moyenne, et les investissements directs étrangers dans les corridors urbains génèrent des moyens concrets de produire de la croissance économique.

Les bénéfices d’une urbanisation efficace

En outre, un habitat urbain plus sûr et plus inclusif et des filets de protection sociale robustes peuvent induire un développement social plus solide. Une saine gestion de l’environnement dans les centres urbains comptera aussi pour beaucoup dans l’atténuation des effets du changement climatique, dans la création de solutions aux pénuries d’eau et d’autres ressources naturelles, dans la lutte contre la pollution atmosphérique, dans la mise en place de systèmes de transport public propres d’un bon rapport coût-efficacité ou encore dans l’amélioration de la collecte des déchets et de l’accès à l’énergie. On ne saurait donc sous-estimer les bénéfices économiques, sociaux et environnementaux d’une urbanisation efficace.

Pourtant, pour que la promesse des villes devienne réalité, il faudra des réformes audacieuses et une saine planification. Le bon fonctionnement des villes n’est pas immanent : il faut que les villes soient créées dans l’optique d’un bon fonctionnement.

L’une des réformes nécessaires consiste à mieux faire correspondre le marché formel de l’immobilier aux demandes de logements grâce à la clarification des droits fonciers. L’amélioration des connexions avec les zones rurales ou encore le renforcement des infrastructures et des services au sein des villes comme entre les villes sont d’autres volets d’une stratégie d’urbanisation durable et adaptée aux contextes spécifiques. Or, aujourd’hui, moins d’un tiers des pays d’Afrique ont défini une stratégie nationale d’urbanisation. Le bon fonctionnement des villes requiert également une gouvernance efficace et transparente. Cependant, les emplois dans l’administration locale sont mal rémunérés et ne sont pas considérés comme des options de carrière viables, à même d’attirer les jeunes talents de l’Afrique. Et pour être durable, l’urbanisation doit exploiter de manière innovante des sources de financement publiques et privées. On estime que dans la seule Afrique subsaharienne, les besoins d’investissement dans les villes se montent à 12,5 à 35 milliards de dollars par an, en fonction de l’expansion urbaine et des densités de population.

Des stratégies nouvelles et ambitieuses d’investissement dans une urbanisation durable figureront en tête des préoccupations mondiales à l’heure où la communauté internationale se réunira à Quito, en Équateur, d’ici la fin de l’année, pour la conférence Habitat III. Tandis que le continent affine sa position commune sur le développement urbain, reflétant l’Agenda 2063 et l’Objectif de développement durable no 11 relatif aux villes, les Africains ont une contribution importante à apporter aux échanges. Permettant de comprendre les défis et de tirer le meilleur parti des opportunités qu’offre l’urbanisation, les villes d’Afrique constituent non seulement un modèle en matière d’enseignements et de bonnes pratiques, mais également un cadre pour tracer l’avenir de l’inclusion, de la productivité et de la prospérité au profit de tous les Africains.

Mario Pezzini est directeur du centre de développement et directeur par intérim de la direction de la coopération pour le développement de l’OCDE ; Ibrahim Assane Mayaki est secrétaire exécutif du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et Laurent Bossard est directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, de l’OCDE.