Le docteur John Zhang et le bébé « à trois parents » qu’il a contribué à faire naître. | New Scientist

Les spécialistes de la reproduction récusent souvent la formule, mais elle résume la percée réalisée par une équipe américaine, dans une clinique mexicaine : un enfant « à trois parents » serait né il y a cinq mois, porteur du patrimoine génétique de ses parents, mais aussi d’ADN provenant d’une donneuse.

La nouvelle de cette naissance inédite, rendue publique mardi 28 septembre par l’hebdomadaire britannique New Scientist, doit cependant encore faire l’objet d’une communication scientifique « officielle » lors du congrès de l’Association américaine de médecine reproductive à Salt Lake City (Utah), en octobre.

Le bébé, un garçon, serait le fils d’un couple de Jordaniens qui avait déjà donné naissance à deux petites filles décédées à l’âge de six ans et de huit mois, indique le New Scientist : toutes deux étaient atteintes du syndrome de Leigh, une maladie liée à un dysfonctionnement des mitochondries, de minuscules usines à énergie présentes au cœur des cellules. La mère était porteuse saine de cette maladie, un quart de ses mitochondries étant touchées par une mutation dans leur ADN.

Procédure interdite aux Etats-Unis

Le couple a fait appel John Zhang, président fondateur du Centre de fertilité New Hope de New York, une clinique qui a des antennes en Chine, en Russie et au Mexique, pour procéder à une tentative de fécondation in vitro faisant appel à une technique de transfert du noyau.

Le docteur Zhang a extrait le noyau (porteur de l’ADN) d’un des ovocytes de la mère et l’a inséré dans celui d’une donneuse dont le noyau avait été préalablement ôté. L’ovocyte disposant de mitochondries saines a été fécondé in vitro avec un spermatozoïde du père.

L’embryon ainsi engendré était donc porteur de l’ADN nucléaire des deux parents et de l’ADN mitochondrial (ADNmt) fonctionnel de la donneuse – les rares mitochondries apportées par le spermatozoïde sont en effet détruites lors de la fécondation, ce qui explique que les maladies mitochondriales sont exclusivement d’origine maternelle.

Selon le New Scientist, sur cinq embryons créés de la sorte, un seul s’est développé « normalement » est a pu être réimplanté dans la mère, qui a ensuite connu une grossesse normale. L’équipe new-yorkaise a procédé à cette procédure de fécondation in vitro et d’insémination au Mexique, car elle est interdite aux Etats-Unis.

Elle est en revanche autorisée au Royaume-Uni – où elle n’a encore jamais été tentée –, mais selon une modalité un peu différente : l’ovocyte de la mère et de la donneuse seraient d’abord fécondés par des spermatozoïdes du père, puis énucléés avant qu’ils ne se divisent pour donner un embryon. Le noyau de la donneuse serait alors éliminé et remplacé par celui de la mère pour former l’embryon.

Le bébé se porterait bien

Le couple jordanien, de confession musulmane, souhaitait minimiser les destructions d’embryons et a pour cette raison choisi d’opter pour l’autre technique, rapporte le New Scientist.

En outre, l’équipe médicale a sélectionné un embryon masculin, afin d’éviter qu’à l’âge adulte il ne transmette la maladie à sa descendance. Pour Sian Harding, qui a procédé à l’examen éthique de la procédure approuvée au Royaume-Uni, cette approche est « aussi bonne ou même meilleure que ce que nous ferions ici », indique l’hebdomadaire.

Aucune précision n’est cependant donnée sur le devenir d’éventuels embryons féminins, écartés par principe – ni sur le coût et les modalités de prise en charge de la procédure.

Le bébé, aujourd’hui âgé de cinq mois, se porterait bien, selon l’équipe médicale, qui a précisé au New Scientist que seules 1 % de ses mitochondries sont porteuses de la mutation délétère.

Une étude espagnole récente, publiée dans Nature le 6 juillet et portant sur des souris, invite pourtant à la prudence. Ces rongeurs dotés d’ADN nucléaire et mitochondrial d’origines différentes semblaient tout d’abord ne pas s’en porter plus mal. Mais ils présentaient progressivement des altérations de leurs fonctions mitochondriales, leur santé déclinait et leur longévité était diminuée.

Absence de supervision réglementaire et éthique

Au-delà des questions éthiques et de la rareté des ovocytes disponibles, les spécialistes des mitochondries sont donc encore réservés sur les naissances « à trois parents » – la solution n’est pas envisagée en France, où l’on propose aux couples affectés de bénéficier d’un diagnostic préimplantatoire des embryons ou d’un don d’ovocytes.

La prudence est aussi liée à un précédent : à la fin des années 1990, aux Etats-Unis, des injections de mitochondries de donneuses (on parle de transfert cytoplasmique) dans des ovocytes avaient déjà conduit à la naissance de plusieurs dizaines d’enfants. Si certains sont aujourd’hui en parfaite santé, d’autres ont présenté des anomalies de développement, si bien que les autorités sanitaires américaines ont demandé aux cliniques d’arrêter en 2002.

Ces inconnues ne font pas douter John Zhang, qui s’enorgueillit aussi d’avoir permis à une femme de 49 ans d’enfanter. S’il a procédé à la fécondation au Mexique, a-t-il indiqué au New Scientist, c’est bien parce que là-bas, « il n’y a pas de réglementation ».

Sur son blog, dans un texte daté du 22 août, il qualifiait le bébé à trois parents de « grand pas pour l’humanité ». Bien sûr, le sujet est controversé, admettait-il, mais « s’il existe un traitement pour ce qui était naguère considéré comme une sentence de mort pour un enfant, ne doit-on pas l’explorer malgré la controverse ? ».

« Sauver des vies, voilà ce qui est éthique », a-t-il déclaré au New Scientist. Précisément, rétorquent certains observateurs, qui dénoncent l’absence de toute supervision réglementaire et éthique, aucune vie n’a été « sauvée » dans l’opération.