Carlos Lopes quitte la Commission économique pour l’Afrique qui dépend des nations unies. | ERIC PIERMONT / AFP

Il reprend sa liberté, mais Carlos Lopes l’a-t-il jamais perdue ? Voilà un économiste de 56 ans, originaire de Guinée-Bissau, qui aurait pu s’engluer dans l’une des administrations de la planète la plus propice au sommeil salarié : la Commission économique pour l’Afrique (CEA), dépendant des Nations unies, basée à Addis-Abeba et censée travailler en étroite collaboration avec l’Union africaine, une autre organisation dont le dynamisme n’est pas garanti.

Carlos Lopes a fait tout le contraire. Nommé en 2012, il a transformé la CEA en think tank produisant des idées presque toujours provocatrices. Par exemple ? Aux dirigeants africains qui réfléchissaient mollement à la diversification de leurs économies, il dicte des programmes d’industrialisation. Aux multinationales et grandes fortunes du continent pratiquant l’évasion fiscale avec nonchalance, la CEA oppose un rapport au cordeau sur la fuite illicite des capitaux. Aux ministres incités par des dessous-de-table à favoriser leur interlocuteur chinois ou occidental, Carlos Lopes et ses équipes ont envoyé des lignes de conduite sur la renégociation de contrats miniers.

Dernière provocation en date : le franc CFA, a-t-il affirmé lors d’un récent passage à Paris, est « un mécanisme désuet ». « Aucun pays au monde ne peut avoir une politique monétaire immuable depuis trente ans. Il y a donc quelque chose qui cloche », a-t-il ajouté. Les ministres des finances de la zone franc apprécieront, eux qui sont réunis vendredi 30 septembre à Bercy par leur collègue français Michel Sapin.

Pas de brouilles ni de désaccords idéologiques

Et pourtant, le bouillonnant personnage s’en va. C’est lors d’un entretien au Monde qu’il l’a annoncé, le 28 septembre. Pas de brouilles ni de désaccords idéologiques avec ses deux tutelles, l’UA et l’ONU, dont il est aussi secrétaire général adjoint, mais une volonté assumée de maîtriser son avenir, au moment où l’Union africaine et les Nations Unies doivent renouveler leurs dirigeants. « Dans une période de transition, dit-il, je ne me voyais pas rester spectateur. Ce n’est pas une position confortable. Je préfère maîtriser le calendrier de ma sortie. »

Une sortie par le haut, donc, pour éviter que sa voix originale se laisse étouffer par les jeux d’appareils. Une voix dont le refrain est un appel à la responsabilité des Africains, qu’il estime endormis par les flux d’aide au développement et par le discours sur ce « continent d’opportunités » du fameux rapport Lions on the Move du cabinet McKinsey en 2010. « Les Africains ont absorbé cette narration [de McKinsey] comme une sorte de compensation à l’afro-pessimisme des décennies précédentes », dit M. Lopes, regrettant que ce portrait optimiste du continent soit davantage un appel aux investisseurs occidentaux à ne pas rater une bonne affaire qu’une feuille de route pour la transformation structurelle de l’Afrique. De fait, M. Lopes n’a cessé d’appeler à un développement endogène du continent et à la mobilisation de ses ressources domestiques.

Carlos Lopes va continuer de conseiller discrètement

Car de l’argent, insiste M. Lopes, « l’Afrique en a ! ». Calculette en main, il additionne les fonds souverains de sept pays (15 milliards de dollars, le plus souvent investis hors d’Afrique), les fonds de pension (80 milliards) et surtout les 600 milliards de dollars de réserves des banques centrales africaines, que le FMI oblige à n’utiliser qu’avec des instruments financiers classés triple A. « Mais aucun outil d’investissement triple A ne s’occupe de l’Afrique, relève M. Lopes. Cela signifie que ces réserves sont utilisées pour le bénéfice d’autres régions du monde ! ».

Carlos Lopes va continuer de conseiller discrètement « une dizaine » de dirigeants africains, et multiplier les séjours à Kigali. Le président rwandais Paul Kagame, chargé par ses pairs de proposer une réforme en profondeur de l’Union africaine, a mis en place un groupe de quatre personnalités. L’ex-secrétaire exécutif de la CEA y côtoie Donald Kaberuka, l’ancien directeur de la Banque africaine de développement, l’entrepreneur et philanthrope zimbabwéen Strive Masiyiwa et… Acha Leke, l’auteur du rapport Lions on the Move.

Démission de Carlos Lopes : « Pourquoi je quitte la Commission économique pour l’Afrique »
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