LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, plongez dans le dernier roman poétique et sensible d’Amélie Nothomb, découvrez le travail magistral de Claire Zalc sur la manière dont étaient retirées les nationalités sous Vichy et évadez-vous avec le magnifique album d’Emmanuel Guibert sur la rencontre entre « Martha et Alan ».

ROMAN. « Riquet à la houppe », d’Amélie Nothomb

Une fille outrageusement belle, un garçon incroyablement laid, deux enfants harcelés par les médiocres et qui font face en leur opposant une invincible jouissance : voilà Riquet à la houppe, le nouveau roman d’Amélie Nothomb, inspiré du conte de Perrault.

Avec la sensibilité magique et l’humour délicat qui distinguent son écriture, Nothomb raconte les aventures respectives de Trémière et Déodat, les emmenant peu à peu vers les chemins de l’alliance. A l’horizon de leur union, il y a la complicité poétique que la romancière installe avec ses lecteurs, ce sens de la fête qui est lui aussi fondé sur un partage de la joie, des frémissements communs, la revendication d’un certain savoir-jouir. Au milieu de ces noces poétiques, l’expression la plus triviale brille à nouveau de tous les sens, et la célébration du beau vaut manifeste existentiel. Jean Birnbaum

ALBIN MICHEL

« Riquet à la houppe », d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 198 p., 16,90 €.

HISTOIRE. « Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy », de Claire Zalc

Première étude d’ampleur sur les retraits de nationalité opérés par Vichy, de drôles de papillons traversent l’ouvrage de Claire Zalc, Dénaturalisés. Rien à voir ici avec un univers bucolique. On se fraie plutôt un chemin dans la densité grisâtre de dossiers administratifs.

Ces papillons, ce sont des petits cartons agrafés sur les chemises de chaque dossier nominatif afin d’y indiquer la préconisation du rapporteur chargé de son examen. On y lit donc, par exemple, « Israëlite [sic]. Pas d’intérêt national », « médecin israélite roumain », « israélite communiste », et bien d’autres mentions du même type.

On pense à l’univers de Georges Perec, dont la famille fait partie des quelque 15 000 Français d’origine étrangère dénaturalisés par Vichy. Fondé sur un énorme travail de dépouillement et des approches toujours très fines, l’ouvrage de Claire Zalc ne s’intéresse pas au « pourquoi » de ces retraits de nationalités, vaste question qui dépasse de loin ce que pourrait dire l’historien, mais décrit magistralement le « comment ». Pierre Karila-Cohen

SEUIL

« Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy », de Claire Zalc, Seuil, « L’univers historique », 240 p., 24 €.

BD. « Martha & Alan », d’Emmanuel Guibert

Voilà plus de quinze ans qu’Emmanuel Guibert travaille à raconter la vie de son ami Alan Ingram Cope, un ancien GI américain resté en France après la seconde guerre mondiale. Il y eut d’abord la trilogie la Guerre d’Alan (L’Association, 2000-2008), un récit à la première personne relatant ses souvenirs militaires, puis le premier volet de la Jeunesse d’Alan (L’Association, 2013), qui revenait sur ses jeunes années en Californie.

Un bref appendice à ce nouveau cycle est aujourd’hui proposé par Guibert à travers l’évocation d’un épisode d’une banalité absolue auquel l’auteur veut donner une dimension universelle. A l’âge de 5 ans, Alan a noué une amitié très forte avec une petite fille de son école. Leurs chemins vont se séparer en raison de son enrôlement dans les forces américaines, ce qui ne l’empêchera pas de penser à son amie au crépuscule de son existence.

La splendeur magnétique des doubles pages qui composent cet album célèbre le mariage de la matière et de la transparence. Rendue tangible par la « voix » d’Alan reproduite sous la forme de textes récitatifs, une pudeur extrême flotte en suspension au-dessus du récit. Frédéric Potet

L'ASSOCIATION

« Martha & Alan », d’Emmanuel Guibert, L’Association, 120 p., 23 €.

HISTOIRE. « Une guerre au loin. Annam, 1883 », de Sylvain Venayre

Drôle de livre. On peut vous en dire le sujet : une investigation historique sur un scandale déclenché en 1883 par un reportage de Pierre Loti. Mais l’auteur n’a plus vraiment la cote, pensez-vous : à quoi bon s’imposer telle lecture ?

Reprenons dans l’autre sens : en ce début des années 1880, Pierre Loti se trouve sur un navire, le long des côtes de l’empire d’Annam. Il ne voit rien de la prise de la ville de Hué par l’armée coloniale française. Qu’importe, il affabule : peindre la cruauté enfantine des troupes de marine lui convient. Il envoie son article au Figaro. A Paris, son imagination débordante fâche. Il est mis à pied. La colonisation est une œuvre de bienfaisance, pas une exultation sanglante.

Et voilà qu’en traquant cette désuète affaire, Sylvain Venayre nous en apprend beaucoup sur les débats qui entourent la « mission civilisatrice » de la France, la naissance du reportage de presse ou encore la querelle du naturalisme. On y croise l’empereur Tu-Duc, Maupassant, David Lodge et la tête du commandant Henri Rivière au bout d’une pique. Etonnant et stimulant. Julie Clarini

LES BELLES LETTRES

« Une guerre au loin. Annam, 1883 », de Sylvain Venayre, Les Belles Lettres, 170 p., 17,50 €.