Pour beaucoup de Libanais, le nom de Shimon Peres reste attaché au bombardement par Tsahal d’un centre de l’ONU dans le sud du pays, à Cana, qui avait tué 106 réfugiés en 1996. | JOSEPH BARRAK / AFP

La cascade d’hommages qu’a suscité dans les pays occidentaux le décès de l’ancien président israélien Shimon Peres, inhumé vendredi 30 septembre à Jérusalem, contraste avec les réactions dans le monde arabe, qui oscillent entre mutisme embarrassé et franche hostilité.

Au Liban, la presse, pourtant à couteaux tirés sur la plupart des sujets, a titré de façon quasi-unanime sur la disparition du « boucher de Cana » (Al-Akhbar, quotidien de gauche) ou de « l’assassin de Cana » (An-Nahar, quotidien de droite). Une référence au massacre de 106 civils libanais, dans un village du sud du pays, sous des obus tirés par l’armée israélienne, en 1996, à l’époque où M. Pérès était premier ministre, en représailles à des actions de guérilla du Hezbollah.

L’Orient Le Jour, un quotidien francophone, est revenu en détail sur ce drame, qui éclipse, dans l’esprit de tous les Libanais, l’investissement de l’ex-leader travailliste dans le processus de paix – inabouti – avec les Palestiniens. Le journal, lu par l’élite économique libanaise, a notamment publié un entretien avec Timor Goksel, qui était alors le porte-parole de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). C’est dans l’une de ses bases, où elles s’étaient réfugiées en pensant être à l’abri, que les victimes de Cana ont trouvé la mort.

Les Israéliens « savaient qu’il n’y avait que des civils et des militaires de la Finul dans la zone. Ils avaient les cartes de la zone. En outre, un drone ainsi que plusieurs hélicoptères israéliens survolaient la zone. (…) Dire que c’était une erreur [comme l’ont fait les autorités israéliennes] n’est qu’un mensonge », assène l’ancien porte-parole des casques bleus.

« Satan sera très heureux
d’accueillir son homologue »

Dans le pays du cèdre, l’antagonisme anti-israélien est nourri non seulement par une forme de solidarité avec les Palestiniens, comme dans le reste du monde arabe, mais aussi par le souvenir traumatisant de l’occupation du sud-Liban par Tsahal, entre 1982 et 2000. « Maudite soit son âme, je lui aurais préféré une mort plus en phase avec ses crimes contre les Arabes et les Palestiniens, a ainsi lâché Waël Bou Faour, le ministre de la santé. Notre seule consolation est que Satan sera très heureux d’accueillir son homologue. »

A l’unisson de ses confrères libanais et à rebours de la presse occidentale, plus encline à mettre en valeur les aspects positifs du personnage, le quotidien Al-Charq Al-Awsat, propriété de la famille royale saoudienne, s’est concentré sur le côté « faucon » de M. Pérès. Il est qualifié dans les colonnes du journal de « père du projet nucléaire » en référence à son rôle dans l’acquisition par Israël de l’arme nucléaire ; de « héros de l’agression tripartite », une allusion à sa contribution à la piteuse attaque franco-anglo-israélienne de 1956, à Suez, contre l’Egypte de Nasser ; et, encore une fois, de « responsable du massacre de Cana ».

Shimon Pérès, un prix Nobel de la paix au bilan mitigé
Durée : 03:35

Sur les réseaux sociaux, les réactions sont encore plus nettement négatives. « Pérès a trompé les Arabes avec sa rhétorique de paix empoisonnée, qui a mis nos stupides leaders sur le chemin d’Oslo » – du nom du processus de paix signé en 1993 et entravé dès 1995 avec l’assassinat de Yitzhak Rabin, alors premier ministre –, a vitupéré sur Twitter Abdel Bari Atwan, un célèbre éditorialiste d’origine palestinienne.

Une vidéo qui a beaucoup circulé sur Facebook, postée par le site Middle East Panorama, montre une hajja (femme âgée) palestinienne, en robe traditionnelle brodée, en train d’éreinter Mahmoud Abbas, le président palestinien, pour s’être rendu aux funérailles à Jérusalem. « Honte à toi, tu n’es jamais allé aux funérailles d’un martyr et tu vas aux enterrements de ceux qui tuent tes enfants ? Est-ce qu’ils sont venus aux funérailles d’Abou Ammar [le surnom de Yasser Arafat, mort en 2004] ? Que tous les leaders arabes aillent au diable ! »

Dans L’Orient Le Jour, Leïla Chahid, l’ancienne ambassadrice de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris et à Bruxelles, apporte quelques nuances. « Abbas a eu le courage d’avoir défendu les accords d’Oslo jusqu’au bout, explique-t-elle. C’est l’œuvre de sa vie. Il est difficile pour lui de renier ce rêve de voir Pérès comme son partenaire de paix. Emotionnellement, il ne peut pas se dire que le processus de paix est mort, ça le tuerait. »

Aucune nouvelle de Riyad

Le dédain et la colère de la rue arabe tranchent avec le silence de la plupart de leurs dirigeants. L’agence de presse officielle saoudienne n’a publié aucun communiqué sur le sujet, alors que le royaume a fait quelques petits pas, ces derniers temps, en direction de l’Etat juif, en raison d’une aversion commune pour la République islamique d’Iran. Le compte Twitter du porte-parole du ministère des affaires étrangères égyptien est resté lui aussi muet, alors que le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, a participé à la cérémonie de Jérusalem.

Le roi Abdallah de Jordanie, qui entretient pourtant des relations diplomatiques avec Israël depuis 1994, s’est contenté d’envoyer une lettre de condoléances.

Ce profil bas s’explique par le fait que le rapprochement avec Israël, qu’il soit officiel, comme dans le cas de l’Egypte et de la Jordanie, ou plus secret et embryonnaire, comme dans le cas de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, reste très mal vu par les opinions publiques arabes.

Hormis Mahmoud Abbas, le seul haut responsable arabe à s’être exprimé ouvertement sur la disparition de l’ancien Prix Nobel de la paix est le ministre des affaires étrangères du Bahreïn, Khaled Ben Ahmed Al-Khalifa. « Repose en paix, Pérès, homme de guerre et homme de la toujours insaisissable paix au Proche-Orient », a-t-il écrit sur Twitter. Une déclaration qui lui a valu, dans les minutes qui suivent, un flot de critiques indignées, en provenance de tout le Proche-Orient.