Des soldats indiens, le 29 septembre à la frontière avec le Pakistan. | NARINDER NANU / AFP

Après l’offensive diplomatique, la riposte militaire. L’Inde a annoncé avoir mené des « frappes chirurgicales » au Pakistan, dans la nuit de mercredi 28 à jeudi 29 septembre, le long de la ligne de démarcation qui sépare la région disputée du Cachemire, une dizaine de jours après l’attaque d’une de ses bases militaires, qui a fait dix-huit morts par un groupe rebelle non-identifié, le 18 septembre.

L’armée indienne explique avoir visé des « terroristes », réfugiés dans des camps au Pakistan, qui s’apprêtaient, selon ses informations, à traverser la frontière pour mener des attaques au Cachemire et dans les métropoles indiennes. Ces « frappes chirurgicales » ont fait « un nombre significatif de victimes dans les rangs des terroristes et de ceux qui essaient de les soutenir », a expliqué jeudi le lieutenant-général indien Ranbir Singh, sans donner davantage de détails.

L’armée pakistanaise a rétorqué qu’il ne s’agissait « pas de frappes chirurgicales », mais de « tirs transfrontaliers déclenchés par l’Inde » au cours desquels elle dit avoir perdu deux soldats. « La notion de frappes chirurgicales contre de prétendues bases terroristes est une illusion volontairement imaginée par l’Inde pour créer un effet trompeur », ont ajouté les militaires. Le premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a condamné « l’agression évidente et non provoquée des forces indiennes ».

Les deux pays n’avaient pas connu de telles tensions depuis 2001, lorsque le Parlement indien avait été victime d’une attaque perpétrée par des groupes terroristes pakistanais. Le ministre de l’intérieur indien, Rajnath Singh, a ordonné l’évacuation de villages proches de la frontière pakistanaise, en cas de contre-attaque. C’est la première fois que New Delhi annonce publiquement avoir mené une offensive sur le sol pakistanais, en riposte à une attaque dite « terroriste ».

A cette occasion, l’expression « frappe chirurgicale » fait son entrée dans le lexique de la langue diplomatique indo-pakistanaise. « C’est un nouveau paradigme. Même si des opérations similaires ont été menées, jamais New Delhi ne les a reconnues publiquement, pour justement éviter l’escalade, affirme Ajai Sahni, directeur de l’Institut pour la résolution des conflits, organisation basée à New Delhi. Le Pakistan n’était pas préparé à l’annonce d’une telle offensive, à laquelle il se doit de riposter. Donc, il la minimise. »

A Faisalabad, au Pakistan, jeudi 29 septembre, lors des funérailles d’un soldat pakistanais tué lors des frappes indiennes. | GHAZANFAR MAJID / AFP

Les « frappes chirurgicales » risquent d’entraîner une aggravation du conflit entre deux pays dotés de l’arme nucléaire, qui se sont déjà livré quatre guerres. New Delhi prend le pari que l’affrontement ne dépassera pas celui d’un conflit conventionnel, malgré la menace du ministre de la défense pakistanais, Khawaja Asif, mercredi, d’« écraser l’Inde » et d’« user de son arme nucléaire ». Jeudi, en fin de journée, un diplomate indien de haut rang a tenté d’apaiser les tensions en expliquant que l’armée indienne n’avait pas déployé ses forces aériennes et qu’elle ne prévoyait pas d’autres opérations. Ce dernier a ajouté que New Delhi continuerait d’exercer une pression sur Islamabad en se donnant la possibilité de « réviser » les accords commerciaux et le traité de partage des eaux dans la vallée de l’Indus, signé en 1960, sans les « rompre ».

L’armée indienne est restée discrète sur les détails de l’opération, préférant les donner aux compte-gouttes aux médias indiens, qui citent des sources anonymes. La chaîne de télévision indienne NDTV affirme que les forces spéciales indiennes, déposées sur les lieux par des hélicoptères, auraient mené leurs opérations dans une bande de deux kilomètres au-delà de la ligne de démarcation, et le quotidien Economic Times avance la mort de trente-huit « terroristes ». « En ne donnant pas trop de détails, l’Inde offre la possibilité au Pakistan de nier les frappes et donc de stopper l’escalade militaire », juge Ajai Sahni. Une riposte qui écarterait finalement tout risque d’escalade, si l’on en croit les analystes indiens.

Le Pakistan isolé

Avant de lancer ces « frappes chirurgicales », New Delhi a pris soin de rallier plusieurs pays à sa cause pour tenter d’isoler diplomatiquement Islamabad. « Il y a parmi nous des nations qui alimentent et exportent le terrorisme. Nous devons identifier ces nations et les obliger à rendre des comptes », a prévenu, lundi 26 septembre, Sushma Swaraj, la ministre des affaires étrangères indienne, devant l’Assemblée générale de l’ONU.

Au lendemain de l’attaque perpétrée au Cachemire, les messages de condamnation sont arrivés du monde entier. L’Arabie saoudite et le Qatar, pourtant deux alliés traditionnels d’Islamabad, ont exprimé leur solidarité à New Delhi. Aucun pays ne s’est en revanche ému des cas de torture et des violations des droits de l’homme au Cachemire indien, malgré les accusations répétées d’Islamabad. L’annulation de la visite du premier ministre indien, Narendra Modi, suivie par celle d’autres chefs d’Etat, à un sommet de dirigeants des pays de l’Asie du Sud organisé, en novembre, au Pakistan, a parachevé l’isolement d’Islamabad au sein même du sous-continent.

L’annonce des frappes a galvanisé le nationalisme en Inde et, fait exceptionnel, a scellé l’unité de sa classe politique. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #ModiPunishesPak (« Modi punit le Pakistan ») a rencontré un vif succès. Mais l’Inde semble avoir, ces jours-ci, complètement oublié la cause du conflit : le Cachemire indien. La région est le théâtre d’émeutes depuis trois mois, au cours desquelles au moins quatre-vingt-sept habitants ont été tués par les forces de sécurité indiennes.