Le 27 janvier 2015, le président américain, Barack Obama en Arabie saoudite, aux côtés du roi Salman Ben Abdel Aziz. | Carolyn Kaster / AP

Editorial. Sans doute animé des meilleures intentions et, plus encore, cédant au populaire groupe de pression des victimes des attentats du 11 septembre 2001, le Congrès américain a voté cette semaine une loi qui va dégrader un peu plus encore les relations des Etats-Unis avec son principal allié dans le monde arabe, l’Arabie saoudite. Ladite législation peut aussi fragiliser la position des Etats-Unis sur la scène diplomatique.

C’est dire que les élus, démocrates et républicains, au Sénat comme à la Chambre des représentants, viennent de peupler de cauchemars quelques nuits à la Maison Blanche comme dans le reste de l’administration, du département d’Etat à celui du Trésor, en passant par le Pentagone. Très exactement, les législateurs ont, mardi 27 puis jeudi 29 septembre, voté massivement, au-delà de la super-majorité requise, pour annuler le veto que Barack Obama venait d’opposer à la loi dite « Jasta », « Justice against Sponsors of Terrorism Act » – un texte qui autorise un citoyen américain à poursuivre un Etat qui aurait assisté « directement ou indirectement  » des organisations impliquées « dans des activités terroristes contre les Etats-Unis ».

Jusqu’à présent, cela n’était possible que contre des Etats placés par l’administration dans la liste de ceux qui pratiquent le terrorisme. L’Arabie saoudite n’en fait pas partie. Or, c’est précisément elle qui est visée par Jasta, législation bipartisane. Quinze des dix-neuf auteurs des attentats du 11 septembre 2001 étaient saoudiens. Le « lobby » des familles des victimes est populaire. Il veut poursuivre Riyad.

C’est la porte ouverte à un chaos diplomatico-juridique sans précédent, dit la Maison Blanche. D’abord, nombre d’Etats peuvent, pour se protéger d’éventuelles poursuites aux Etats-Unis, prendre des dispositions similaires. Ensuite, Jasta est rédigée en termes très vagues. On peut imaginer des Américains d’origine ukrainienne poursuivre la Russie, d’autres d’origine irlandaise traîner le Royaume-Uni en justice – avec, à chaque fois, un juge, déterminé, bloquant les comptes en dollars du pays visé…

Représailles financières

Surtout, la maison des Saoud est depuis 1945 le plus solide allié des Etats-Unis – avec, plus tard, Israël – au Moyen-Orient. L’enquête du Congrès sur le 11-Septembre disculpe totalement Riyad et les plus hautes autorités du royaume, mais elle dit ne pouvoir prouver ni exclure des responsabilités saoudiennes de « bas niveau ». Là est la brèche qu’ouvre Jasta aux familles des victimes pour attaquer l’Arabie saoudite.

Celle-ci évoque des représailles financières, qui peuvent être dévastatrices. Selon le Wall Street Journal, Riyad dispose de 560 milliards de dollars dans ses réserves, dont 96,5 milliards en bons du Trésor américains : une « bombe » prête, si elle est utilisée, à malmener la réputation financière du pays dont la devise est la principale monnaie de réserve du monde. Sans compter le fait que Washington et Riyad ont les liens stratégico-militaires les plus serrés, en dépit de désaccords croissants à propos du Moyen-Orient – sur l’Iran, la Syrie, le Yémen.

L’épisode témoigne de la chute drastique de popularité des Saoudiens aux Etats-Unis. Ce qui est en cause, c’est l’image d’un pays qui diffuse dans le monde la version rétrograde de l’islam dont s’inspirent nombre de djihadistes. Jasta sera sans doute modifiée par les élus, mais, d’ores et déjà, porte un coup de plus dans la relation américano-saoudienne.