L’Afrique est le continent de demain. S’il est un fait sur lequel, tous les économistes s’accordent, c’est celui-là. Avec sa croissance d’environ 3 % et son poids démographique (un quart de la population mondiale sera africaine en 2050), le continent autrefois « oublié » par les investisseurs français fait aujourd’hui l’objet de toutes leurs attentions, comme l’ont prouvé les Rencontres Africa 2016, qui se sont tenues les 22 et 23 septembre au Conseil économique et environnemental du Palais d’Iéna, à Paris.

  • Pourquoi les entreprises françaises ont-elles cédé du terrain ?

Depuis environ deux mois, une société française peut se targuer d’être la seule au monde à être implantée dans les 54 pays du continent africain. Le groupe Mobilitas, actif dans les métiers du déménagement, de la mobilité des cadres et de l’archivage documentaire, compte près de 4 300 employés, dont 2 800 répartis sur tout le territoire africain. « L’Afrique est le continent du XXIe siècle, assure Alain Taïeb, président du conseil de surveillance de cette société à capitaux familiaux, fondée en 1974 et ayant commencé son implantation africaine par la Côte d’Ivoire en 1993. Pendant 25 ans, nous avons investi, recruté, formé et développé. Pays après pays, région après région. Partout, nous avons rencontré une Afrique innovante, dynamique. Depuis un accord avec les Seychelles il y a huit semaines, nous possédons aujourd’hui dans les 54 pays d’Afrique nos infrastructures, nos bureaux, nos hommes. »

Mais ce maillage de l’Afrique par Mobilitas n’est pas représentatif de l’intérêt que les sociétés françaises ont porté à l’égard du continent ces dernières décennies. Depuis une trentaine d’années, les entreprises françaises n’ont cessé de perdre des parts de marché sur le continent. Par manque d’intérêt ? Par crainte ? « Je crois que la France n’a pas regardé l’Afrique pendant des années pour de mauvaises et de bonnes raisons, analyse Lionel Zinsou, ancien premier ministre du Bénin, et organisateur des Rencontres Africa 2016. Les mauvaises raisons, ce sont des préjugés hérités de la colonisation et un regard un peu condescendant. À partir des années 1995-2000, les pays émergents ont vu que l’Afrique avait les meilleurs chiffres du monde et qu’il y avait des changements de gouvernance, de génération. En France, on n’a pas vu ces chiffres. Les bonnes raisons, c’est que se moderniser en France a signifié faire l’Europe puis partir à la conquête de l’Asie où il y avait de très fortes croissances. »

Selon plusieurs prévisions, l’Afrique réalisera un taux de croissance de 3 % en 2016. Dans l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), qui rassemble huit États côtiers et sahéliens, elle a atteint 7 % en 2015. Dans son ensemble, le continent atteindra quasiment deux fois le taux de croissance européen cette année.

  • Pourquoi faut-il se positionner maintenant ?

Dans les dix prochaines années, les investissements français devraient croître sur le continent de 75 %, selon l’étude « Une Afrique, des Afriques » publiée fin 2015 par le cabinet de conseil BearingPoint. Et d’ici 2020, les sociétés qui n’auront pas fait leur transition africaine « seront en retard », prévient le cabinet. « C’est maintenant qu’il faut investir car c’est un continent qui est en plein développement même si certains pays ont encore des difficultés, explique Isabelle Bébéar, directrice de l’international chez la Banque publique d’investissement (Bpifrance), qui accompagne les entreprises dans leur développement. Il faut le faire maintenant car la concurrence va devenir plus rude. Les Français ont des liens privilégiés, des positions économiques avec l’Afrique de l’ouest mais ils ne doivent pas se laisser doubler. Nos parts de marché ont certes diminué mais en valeur absolue, la France est toujours là. »

Cette baisse significative des parts de marché semble enrayée. En 2015, la croissance des exportations de la France vers l’Afrique a augmenté de 4 %. Selon un sondage réalisé auprès des sociétés les plus performantes de Bpifrance fin 2014, près de 20 % des entreprises non présentes sur le continent ont une démarche en cours ou un projet de s’y développer dans un horizon inférieur à trois ans. « Beaucoup de chefs d’entreprises disent que l’Afrique les intéresse, mais ils craignent de ne pas trouver le bon partenaire, d’avoir des problèmes de paiement, indique Isabelle Bébéar. Nous répondons à ces craintes avec des produits financiers adaptés et un accompagnement de nos équipes avec des partenaires locaux. Fin octobre, nous irons en Côte d’Ivoire et en Afrique du Sud avec une quinzaine de chefs d’entreprise pour leur faire rencontrer des relais de confiance sur lesquels ils pourront s’appuyer. »

Reste, côté africain, à créer un environnement favorable aux affaires. Longtemps, le Sénégal par exemple, a été pointé du doigt pour ces coupures de courant intempestives et ses lourdeurs administratives. « Le dernier classement Doing Business montre que le pays a fait des efforts [il est passé de la 91e place à la 85e place sur 189 pays], répond Amadou Ba, ministre de l’économie et des finances du Sénégal. Sur le plan de l’électricité, il y a encore des progrès à réaliser mais les nombreux délestages sont derrière nous. Sur la lenteur de notre administration, qui découle un peu des traditions françaises en termes de procédures, des réformes sont en cours. »

  • Comment le rapport entre la France et l’Afrique a-t-il changé ?

En économie comme ailleurs, la nature a horreur du vide. Le détournement des entreprises françaises du continent a profité à d’autres pays européens, mais aussi à l’Inde et évidemment à la Chine, dont le volume des échanges commerciaux avec l’Afrique a été multiplié par vingt depuis 2000. « Je ne peux pas dire que la France a oublié le Sénégal étant donné que les deux pays sont liés depuis plus de trois siècles, analyse Amadou Ba. La France est le premier partenaire du Sénégal au sein de l’Union européenne, le troisième au niveau mondial. Il y a des liens importants mais c’est vrai que nous sommes dans un monde de plus en plus concurrentiel, avec de nouvelles règles et de nouveaux acteurs. Il est temps que la France mette à jour sa stratégie économique. »

Les règles ont changé, la notion de pré carré n’existe plus. Dans les allées des Rencontres Africa 2016, où plus de 1 000 entreprises s’étaient donné rendez-vous, on pouvait entendre qu’un marché au Bénin ou au Burkina autrefois « réservé » à une société française plutôt qu’à une autre en raison des liens historiques et linguistiques entre les deux pays, ne l’est plus forcément aujourd’hui.

« D’un côté, vous avez un continent qui a d’énormes besoins en ressources humaines et technologiques mais qui offre une dynamique très forte, explique Lionel Zinsou. Même s’il y a beaucoup de situations différentes, il s’éveille avec le sentiment que tout est possible et n’a aucune inhibition pour créer des start-up, développer des applications… De l’autre côté, il y a la France qui se demande comment elle va passer d’une relation coloniale et néocoloniale avec des effets de domination forts, à un nouveau rapport avec cette Afrique innovatrice. Vous avez donc un vieux pays doté d’atouts d’innovation incroyables qui est obligé de faire des transformations structurelles afin de répondre à un continent qui offre plus d’opportunités que le vieux. »

  • Sur quels secteurs faut-il miser ?

D’ici à 2050, l’Afrique va héberger près de deux milliards d’êtres humains et contribuera pour plus de moitié à la croissance démographique mondiale. « Des routes, des autoroutes, des ports, des logements et des bureaux vont devoir être construits en très peu de temps, explique Jean-Michel Severino, président du fonds d’investissement Investisseurs & Partenaires et auteur d’Entreprenante Afrique (Ed. Odile Jacob, 2016). C’est le défi du secteur du BTP. On pourrait penser qu’il est trusté par les entreprises chinoises et occidentales, mais ce n’est que partiellement vrai… Le terrain est beaucoup plus concurrentiel mais c’est une bonne nouvelle car la France, qui a aussi une stratégie tournée vers l’Afrique anglophone, a les moyens d’être compétitive. »

En plus de la construction, l’agroalimentaire, les secteurs de la logistique ou celui des normes environnementales peuvent permettre à la France de s’imposer économiquement. « Les acteurs se sont réveillés et la conversion à la nouvelle Afrique peut offrir beaucoup d’emplois, rappelle Lionel Zinsou. Dans des domaines d’excellence, comme le transport avec Airbus, Renault et Peugeot, ou dans le domaine de la santé avec Sanofi, la France est à la hauteur. »