C’est un terrain vague situé au bord de la route qui mène à Alfacar, près de Grenade en Andalousie, sur lequel s’active une pelle mécanique. Miguel Caballero Pérez observe les mouvements de l’engin avec un mélange de satisfaction et d’angoisse. Ici repose peut-être le corps du poète Federico García Lorca (1898-1936).

Le poète espagnol Federico García Lorca (1898-1936) en 1934. | René Da / RUE DES ARCHIVES

C’est en tout cas la thèse que défend cet historien autodidacte qui a écrit Les Treize Dernières Heures de la vie de Federico García Lorca, un essai paru en France aux éditions Indigènes (2014). Il a consacré une partie de sa vie à tenter de retracer les derniers instants de la vie de l’auteur de Noces de sang.

Exécuté par les phalangistes au début de la guerre civile espagnole (1936-1939), García Lorca aurait été jeté, entre le 17 et le 19 août 1936, comme des dizaines de milliers de républicains, dans un fossé.

Miguel Caballero Pérez avait obtenu le soutien du gouvernement andalou pour mener à bien deux premières phases de recherches, en 2014. Le 19 septembre, sous la direction de l’archéologue Javier Navarro, président de l’association Regreso con honor (« Retour avec les honneurs »), a commencé la troisième et dernière étape, financée cette fois grâce à une campagne de financement participatif, avec l’espoir de percer l’énigme…

Le plus célèbre disparu de la guerre civile espagnole

Il y aura toujours des historiens, des archéologues, des cartographes et des dizaines de volontaires anonymes pour chercher la dépouille de Federico García Lorca. Tant que son corps n’aura pas été retrouvé, que le lieu exact de sa mort ne sera pas connu, la quête, qui vire souvent à l’obsession chez ceux qui l’entreprennent, continuera.

« Il est le plus célèbre des disparus de la guerre civile espagnole », résume Ian Gibson, historien irlandais installé à Madrid qui fut, lui aussi, longtemps hanté par le mystère autour du poète andalou sur lequel il a rédigé de nombreux ouvrages.

C’est sur la base de ses travaux qu’en 2009 démarrèrent les premières fouilles archéologiques à Viznar, à quatre cents mètres de là où se déroulent les explorations actuelles. Il s’appuyait notamment sur le témoignage de « Manolo le communiste », un serveur qui avait raconté avoir enterré le poète. C’est le gouvernement andalou qui avait alors entrepris les recherches dans un sous-bois aujourd’hui baptisé Parc Federico García Lorca. Elles avaient duré quarante-sept jours. Pour rien.

Depuis, le mystère s’est épaissi. Et l’obsession de Miguel Caballero Pérez, qui a assemblé la documentation existante et recherché de nouveaux témoignages, aussi. Pour lui, la dépouille n’est pas là où l’avait signalé Manolo le communiste mais au Peñon Colorado, près d’Alfacar, donc. Le lieu aurait été désigné par trois des bourreaux de García Lorca à un historien franquiste et au fils d’un capitaine de la garde civile.

Une victime parmi d’autres

La principale difficulté est cependant l’état de la zone, qui a servi de terrain de foot ou de circuit de motocross. Pour étudier les mouvements de terrains et les possibles fosses existantes avec des géoradars, il a fallu au préalable extraire une couche de six mètres de terre, avant que les fouilles archéologiques à proprement parler commencent.

Un volontaire du syndicat CNT, le 27 septembre 2016, sur le lieu des fouilles, près de Grenade en Andalousie. | SANTI DONAIRE

Officiellement, ce n’est pas Lorca qui est recherché, mais le maître d’école Dioscoro Galindo, à la demande de sa petite-fille, et les deux banderilleros anarchistes, Juan Arcoya Cabezas et Francisco Galadí, selon le souhait du syndicat CNT (Confédération nationale du travail), avec lesquels l’homme de lettres aurait été fusillé et mis en terre.

La famille du poète, elle, s’oppose toujours à ces investigations. Il doit rester « une victime parmi d’autres », estime sa nièce, Laura García Lorca, présidente de la Fondation Federico García Lorca.

Il resterait en Espagne plus de 114 000 victimes républicaines de la guerre civile sans sépulture, ensevelies dans des sous-bois, selon le juge Baltasar Garzón, qui avait voulu porter ces disparitions devant la justice malgré la loi d’amnistie de 1977. Sans succès. García Lorca est devenu le symbole de ces « disparus ».

Si l’entreprise de Miguel Caballero Pérez échoue, il ne fait pas de doutes que d’autres passionnés prendront la relève. En 2015, un rapport de police inédit, daté de 1965, élaboré après une requête de l’écrivaine française Marcelle Auclair – auteure du livre Enfance et mort de García Lorca (Seuil, 1968) –, a donné des indications sur un autre lieu où il pourrait se trouver : « A fleur de terre, dans un fossé situé à environ deux kilomètres à droite de cette Fuente Grande, dans un endroit très difficile à localiser. »

A moins que les rumeurs qui courent à Grenade, selon lesquelles la famille de l’écrivain aurait depuis bien longtemps récupéré, en secret, le corps du poète, soient vraies.