Le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim à Tokyo le 27 août 2016. | THOMAS MUKOYA / REUTERS

Garder le cap, coûte que coûte. Pour Jim Yong Kim, le président tout juste reconduit de la Banque mondiale (BM), le mastodonte du développement économique qu’il dirige depuis 2012 doit devenir encore « plus audacieux et souple », au service d’un objectif phare : « l’éradication de l’extrême pauvreté ».

Ce message, il le réaffirmera devant le gratin de la finance mondiale, réuni du 4 au 9 octobre à Washington, pour les assemblées générales de son institution et du Fonds monétaire international (FMI). Il l’avait déjà martelé, en recevant, le 27 septembre, la confirmation du renouvellement de son mandat.

Ambitieux. Mais l’impeccable slogan masque mal l’agitation qui règne au sein de l’organisation. Et que n’a pas arrangée la reconduction expresse de « doctor Kim ». Fin août, cet Américain de 56 ans, né en Corée du Sud, se déclare candidat à sa succession en juillet 2017. Le Trésor américain lui offre instantanément son soutien. Un mois plus tard, l’affaire est conclue. Ainsi se perpétue la tradition immuable qui voit les Etats-Unis se réserver la direction de la BM, tandis que les Européens conservent celle du FMI, les deux institutions sœurs des accords de Bretton Woods de 1944.

Pourtant, parmi les 15 000 agents du groupe, un vent de contestation souffle depuis des mois. Début août, l’association du personnel dénonce « une crise de leadership ». Une quarantaine d’anciens responsables réitèrent les critiques mi-septembre, fustigeant dans le Financial Times l’absence d’une « direction stratégique claire » et une sélection « précipitée ». « On ne peut pas en appeler à la bonne gouvernance dans les pays où on intervient et organiser chez soi un processus opaque, à la va-vite, à dix mois de l’échéance », résume un cadre.

400 millions de dollars d’économies

Ce désenchantement contraste avec l’accueil enthousiaste à la nomination inattendue de M. Kim en 2012. Ancien médecin de brousse, cet anthropologue était le premier président de la BM à n’être issu ni de la finance ni du monde politique. A peine arrivé, il passe des heures en visioconférence avec les salariés. Et décrète la mobilisation contre la bureaucratie, les baronnies et l’envolée des dépenses.

Las. Mené à la hussarde, le grand remue-ménage suscite l’émoi. « Il a pensé qu’il fallait tout faire ensemble et rapidement. C’était beaucoup pour les équipes, même s’il posait les bonnes questions », souligne un haut fonctionnaire de la banque. Le recours aux consultants de McKinsey et à des conseillers de luxe, comme le professeur d’Harvard Michael Porter, fait grincer des dents, alors que se profile un plan d’économies de 400 millions de dollars (356 millions d’euros) sur trois ans. En 2015 et en 2016, dans les enquêtes internes, seul un tiers des employés dit comprendre où la direction veut les mener.

Même aux plus hauts étages, l’humeur n’est pas au beau fixe. Les départs, contraints ou volontaires, s’y sont enchaînés depuis quatre ans. La faute, semble-t-il, à la personnalité de Jim Yong Kim et à son style de gestion. « C’est quelqu’un d’extraordinairement séduisant, mais doté d’un ego démesuré et qui déteste la critique, grince un jeune ancien. Il a fait le vide autour de lui. »

Les observateurs extérieurs lui font crédit d’avoir voulu dépoussiérer l’institution après deux décennies sans réformes. Sous sa houlette, la capacité de prêts est augmentée. Plus controversée est la réorganisation de la BM, jusque-là découpée en six blocs régionaux, autour de quatorze pôles d’expertise (eau, éducation, climat…).

Sur le fond, M. Kim s’est fait remarquer en assignant à la banque un double objectif audacieux : mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici à 2030 et doper les revenus des 40 % les plus pauvres dans le monde. Une mission aux avancées difficiles à mesurer. Mais au service de laquelle la BM se montre prête à emprunter de nouvelles voies. Fin septembre, elle annonçait que sa branche consacrée aux pays les plus pauvres (IDA) pourrait désormais lever de l’argent sur les marchés.

De nouveaux concurrents

La présidence Kim s’est aussi distinguée par sa mobilisation contre le virus Ebola. L’institution a été en première ligne pour débloquer des fonds à destination des pays touchés. Elle met aujourd’hui sur pied un fonds d’urgence contre les pandémies, doté de 500 millions de dollars.

« A cause du passé de M. Kim, on entend beaucoup la banque sur ces sujets, et cela a du bon, mais il s’agit d’abord d’une institution économique et financière, nuance Jean-Louis Sarbib, ancien vice-président de la BM. Il est impératif que, sur son cœur de métier, elle soit perçue comme l’organisation primus inter pares. Pas facile si des cadres découragés continuent à partir, et donc à la déqualifier. »

De fait, la Banque mondiale doit fonctionner avec une concurrence nouvelle : celle de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, gérée par Pékin, et celle de la Banque de développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Les gros emprunteurs d’hier sont devenus, à leur tour, d’importants créanciers.

La relation avec les émergents sera d’ailleurs un enjeu-clé des années à venir. Par calcul ou par désunion, ces pays n’ont présenté aucun concurrent face à M. Kim. Ils n’en attendent pas moins une réforme de la représentativité qui leur octroie plus de poids à l’égard des pays riches. Faute de quoi, certains pourraient vouloir ne plus jouer le jeu d’un système multilatéral dont l’Occident se réserve le leadership depuis plus de soixante-dix ans.