Le premier ministre, Viktor Orban, avant son discours devant le Parlement, à Budapest, lundi 3 octobre, à la suite du référendum antimigrants dimanche. | ATTILA KISBENEDEK / AFP

Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a connu dimanche 2 octobre un revers électoral avec son référendum contre le plan de l’Union européenne sur l’accueil des réfugiés, qui, malgré le plébiscite du « non », est invalidé faute de participation suffisante. Ceux qui ont voté ont massivement exprimé (98,32 %) leur rejet des relocalisations de réfugiés au sein de l’UE. Mais ils n’ont pas été assez nombreux pour que le chef de l’exécutif remporte cette consultation à forte valeur symbolique.

Le conservateur Viktor Orban, qui a fait campagne contre les migrants, a refusé de voir un échec dans ce résultat. Lors d’une conférence de presse, le premier ministre a affirmé qu’il allait, malgré ce quorum non atteint, proposer dans les prochains jours un « amendement de la Constitution », afin d’affirmer la prévalence du Parlement hongrois sur les traités européens pour tout ce qui touche aux questions migratoires.

Pour Paul Gradvohl, historien et maître de conférences (université de Lorraine, Cercle), spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale, ces effets d’annonce – irréalisables en vertu des traités européens – masquent mal la position de faiblesse dans laquelle se trouve le premier ministre.

Quel est le ressenti de la population sur la question de l’immigration et de l’Union européenne ?

La population hongroise a été particulièrement marquée par l’année 2015. Selon les statistiques officielles, le pays a enregistré 180 215 demandes d’asile. En 2012, on arrivait péniblement aux alentours de 2 000 demandes d’asile. Le saut quantitatif de ces dernières années est donc énorme. Sur toutes ces demandes d’asile durant l’année 2015, la Hongrie a accordé 146 statuts de réfugié, auquel il faut ajouter 356 statuts de personne protégée, une version dégradée de réfugiés.

Mais les migrants sont concentrés sur une partie du territoire, ils ne souhaitent pas particulièrement rester en Hongrie, ils souhaitent traverser la frontière vers l’Autriche. Un Hongrois qui vit au nord-est du pays a de fortes chances de ne jamais voir un migrant de sa vie. L’arrivée des migrants ces derniers mois crée donc des fantasmes au sein de la population.

Comment ce référendum était-il perçu au sein de la population ?

Cette campagne antimigrants s’inscrit dans un pays où les dirigeants restent marqués par les stigmates du traité du Trianon de 1920. Consacrant la fin de l’Autriche-Hongrie, ce traité signé le 4 juin 1920 fit perdre à la Hongrie les deux tiers de son territoire et de sa population. Cette peur de perdre son territoire – donc son identité – reste présente auprès de la classe politique.

Un pourcentage non négligeable de personnes s’est senti concerné par cette campagne antimigrants. Mais pas la majorité. La Hongrie, de par son histoire, est habituée à avoir une diversité au sein de sa population.

En regardant dans le détail les résultats du vote, on constate que le taux de participation est bien plus élevé que la moyenne à la frontière occidentale, où les gens ont voté par xénophobie et intérêt immédiat. Les Hongrois travaillant en Autriche ont peur que l’augmentation du nombre de migrants engendre la fermeture de la frontière autrichienne. Dans les deux provinces proches de la frontière autrichienne, plus de 50 % des personnes inscrites sur les listes électorales ont jugé nécessaire de s’exprimer, alors qu’au niveau national la moyenne était d’à peine 40 %.

Quels étaient les enjeux du scrutin ?

En menant une campagne contre la relocalisation des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne, Viktor Orban pensait obtenir le soutien de la population. Au terme de ce référendum, il souhaitait imposer sa volonté à l’UE de refuser que l’on installe des milliers de musulmans – donc des terroristes en puissance, selon lui – dans le pays.

Pour porter haut ce message, Viktor Orban a dépensé 15 milliards de forints (48,7 millions d’euros) en frais de campagne en faveur du référendum. Cela représente une somme considérable quand on sait que le référendum concerne moins de 2 000 réfugiés dans le pays.

En termes de politique intérieure, l’enjeu de ce référendum était de faire face à un manque de popularité grandissant de Viktor Orban, en mobilisant derrière lui des électeurs de son parti, mais aussi des électeurs d’autres partis.

En termes de politique extérieure, l’objectif était de se positionner dans la lutte des élites politiques en Europe. La position antimigrants que porte Viktor Orban n’est en effet pas très originale en Europe de l’Est. Ce qui tranche, c’est sa façon de faire, l’idée du référendum.

Dans quelle position se retrouve Orban après ce référendum ?

Le résultat de ce référendum constitue un grave échec pour Viktor Orban. D’autant plus qu’il annonçait que le vote serait valide. Cette situation relève donc du jamais vu. Une grande partie des électeurs du Fidesz [parti de droite présidé par M. Orban] ne sont allés voter. Ce sont, en grande majorité, les électeurs d’extrême droite qui se sont déplacés.

Le résultat de ce référendum montre de façon claire qu’il est possible de battre Viktor Orban aux prochaines législatives de 2018. Ce vote va donner des ailes au Jobbik, le parti d’extrême droite, qui réunit entre 15 % et 20 % de l’électorat. La question est de savoir dans quelle mesure les partis libéraux et de gauche vont pouvoir s’entendre. Pour que M. Orban soit menacé, il faudrait que les forces à gauche s’unissent et que le parti d’extrême droite baisse.

Le succès de l’initiative du parti humoristique du « Chien à deux queues » [MKKP] – qui a incité les électeurs à déposer de faux bulletins dans l’urne – laisse penser que ces membres pourraient se présenter aux législatives de 2018, et obtenir des sièges de député. Dans les grandes villes, comme Budapest, le nombre de bulletins invalides a atteint 11 %. A l’échelle nationale, le pourcentage atteint 6,27 %. En 2003, lorsque les citoyens avaient validé leur entrée dans l’Union européenne, le nombre de bulletins invalides était seulement de 0,49 %.

Enfin, le calendrier électoral reste favorable au premier ministre. Les élections législatives sont en 2018. D’ici là, il va tenter de mettre en place sa révision constitutionnelle. Il va également réorganiser les forces au sein de son parti pour aboutir à plus de servilité. Il va tenter de contrôler les activités économiques, les institutions scolaires et les médias publics, qui sont déjà sous tutelle.

Orban a évoqué un « amendement de la Constitution », afin d’affirmer la prévalence du Parlement hongrois sur les traités européens, est-ce envisageable ?

Cette volonté de réviser la Constitution n’est qu’un effet d’annonce d’un homme acculé par l’échec de son référendum. Il s’agit juste de montrer qu’il garde la face. Mais une telle mesure poserait des problèmes de droit européens et internationaux. Les traités n’offrent en effet pas aux pays membres le privilège de pouvoir réviser la règle de la majorité qualifiée à la carte. Précisons que Viktor Orban refuse d’accueillir des migrants, mais qu’il accepte de recevoir les subventions européennes destinées à ce projet de relocalisation des demandeurs d’asile.

Surtout, Viktor Orban a organisé une campagne sur un sujet presque obsolète. Depuis le 16 septembre, à la suite du premier sommet des dirigeants européens à Vingt-Sept, à Bratislava, l’imposition de quotas de réfugiés par la Commission ne figure plus dans la feuille de route commune des pays de l’UE. Mais tant que l’Union européenne ne mettra pas les choses au clair sur ce point, Viktor Orban pourra continuer son spectacle.