Manifestation des salariés d’Alstom, mardi 4 octobre. | SEBASTIEN BOZON / AFP

A Belfort, pour parcourir les deux kilomètres séparant la porte des Trois Chênes, l’entrée principale du site d’Alstom, et la préfecture amarrée en vieille ville, les syndicats ont ressorti une antiquité : une Peugeot 504 – un modèle 4x4 de couleur bleu électrique – dont l’arrière a été aménagé pour accueillir une sono.

C’est derrière elle qu’environ 250 salariés et syndicalistes se sont élancés, mardi 4 octobre vers 9 h 30, dans l’attente, fébriles et désabusés, des annonces du gouvernement et de la direction générale d’Alstom pour sauver le site belfortain. « Les annonces ? J’attends de voir… », lâche Jacques, à la retraite depuis cinq ans après avoir travaillé « quarante-cinq ans et trois mois » à la Traction (Alstom Transport). « Je suis quand même sceptique. Parmi les hypothèses avancées ces dernières quarante-huit heures, on a évoqué la production de bus électriques, mais ce n’est pas le cœur de métier de Belfort. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas fabriquer des fers à repasser ! Des commandes vont être annoncées, c’est sûr, mais ce ne seront que des commandes électoralistes. Sans la présidentielle de 2017, pensez-vous que Hollande et Valls se démèneraient autant ? »

« Ce qu’il faut, c’est développer en France le fret ferroviaire »

Entre les slogans « Alstom vivra ! » et « Alstom, c’est Belfort et Belfort, c’est Alstom ! » crachés par la sono, Richard, 60 ans, un ancien salarié de PSA, retraité lui aussi, tient des propos sans concessions à l’égard du personnel politique. « Je ne crois plus du tout à ces promesses, à gauche comme à droite. Tous les politiques ne font que mentir. Souvenez-vous des hauts-fourneaux de Florange et de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois. Nos gouvernants avaient promis de les tirer d’affaire. On voit le résultat avec, à Aulnay, des centaines de salariés toujours sur le carreau et dont on ne parle plus. »

Matthieu, un fonctionnaire âgé de 52 ans, enchaîne : « Ce qui se passe actuellement était prévisible depuis la grande braderie de la branche énergie d’Alstom avec sa vente à General Electric. » Lui est né et a grandi dans la cité du Lion. « Quand j’étais enfant, il y avait 6 000 ou 7 000 salariés chez Alsthom [ancien nom de l’entreprise]. A Belfort Nord, dans l’immeuble de cinq étages où j’habitais, au moins 70 % des logements étaient occupés par des salariés d’Alsthom et de Bull, et par leurs familles. »

Jacques reprend la parole : « Ce qu’il faut, c’est développer en France le fret ferroviaire. Voilà ce qui donnera du travail à Belfort dans la durée ! L’abandon par le gouvernement et Ségolène Royal de l’écotaxe a été une erreur monumentale. Ça ne plaisait sans doute pas aux patrons du secteur du transport routier, mais cela collait parfaitement avec l’esprit de la COP 21. »

Peu après 11 heures, devant la préfecture, les premières rumeurs d’annonces fusent. La réunion entre le secrétaire d’Etat à l’industrie, Christophe Sirugue, le PDG d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, n’en est pas encore à son épilogue. « Apparemment, c’est pas si mal que ça, lâche un encarté à la CGT en consultant la messagerie de son téléphone portable. Le transfert de la fabrication des locos et motrices TGV sur le site de Reichshoffen en Alsace serait supprimé. » Puis les annonces se multiplient et sont officialisées avant même la conférence de presse programmée à midi.

« Environ un million d’euros » des collectivités locales

« On a gagné une bataille, pas la guerre », confie Olivier Kohler, représentant CFDT, à sa sortie de la préfecture. « Toutes les annonces qui viennent d’être faites, c’est une marche arrière toute de la part de la direction générale d’Alstom. Bien sûr, cela nous réjouit, mais restons vigilants, prudents. Certes, l’horizon vient de se dégager jusque 2020, mais l’avenir du site de Belfort n’est pas assuré sur le long terme. Après cette date, il faudra des commandes, à la fois en France et à l’exportation, pour faire vivre le site. En tout cas, nous, on ne lâchera pas le morceau. On montera à nouveau au créneau si nécessaire », souligne-t-il en rappelant l’existence d’un engagement écrit, signé conjointement par Christophe Sirugue et Henri Poupart-Lafarge.

Présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Guite Dufay se veut plus optimiste : « Il y a trois semaines, Alstom parlait de fermer le site de Belfort, aujourd’hui il va y réaliser d’importants investissements. » L’élue socialiste évalue à « environ un million d’euros » l’apport des collectivités locales pour contribuer à sa modernisation (avec notamment l’électrification de la voie d’essai) et à l’amélioration de sa productivité. L’annonce très brutale du 7 septembre n’avait-elle pas pour objectif de mettre la pression sur les collectivités afin de les inciter à mettre la main à la poche ? A cette question, Marie-Guite Dufay commence par opposer un long silence avant de déclarer, lapidaire : « L’important maintenant, c’est de regarder vers l’avenir. »