Les déflagrations de l’affaire Squarcini continuent de résonner dans les couloirs de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Plusieurs personnes en poste à la DGSI – dont deux policiers – ont été entendues, entre lundi 26 et mercredi 28 septembre, pour s’expliquer sur les contacts qu’ils avaient continué à entretenir avec leur ancien patron.

L’un des deux policiers a été mis en examen pour « violation du secret professionnel », « collecte frauduleuse de données à caractère personnel », « détournement de la finalité d’un traitement de données à caractère personnel » et « compromission du secret de la défense nationale ». Son contrôle judiciaire lui interdit jusqu’à nouvel ordre de travailler à la DGSI ainsi que dans tout service de renseignement. L’autre a, pour sa part, été placé sous le statut de témoin assisté pour avoir notamment effectué des traductions de revues de presse à destination de M. Squarcini.

Le 27 septembre, les locaux de la DGSI situés à Levallois avaient été perquisitionnés dans l’objectif de préciser les éléments que ces fonctionnaires avaient pu transmettre à M. Squarcini. Un acte d’enquête rarissime, compte tenu du fait que le siège des services de renseignement intérieur sont protégés par le secret-défense. Trois assistantes de Patrick Calvar, l’actuel directeur de la DGSI, qui y travaillaient déjà sous l’ère Squarcini, ont été entendues la semaine dernière et leurs ordinateurs examinés par les enquêteurs de l’IGPN.

Mais un autre acte a eu lieu, jeudi 29 septembre, dans la plus grande discrétion. M. Calvar a été entendu comme simple témoin pour apporter son éclairage sur cette tumultueuse affaire. Son nom figure en effet parmi ceux des interlocuteurs de M. Squarcini dans le rapport d’écoutes réalisées par la division nationale d’investigations financières (actuel Office de lutte contre la corruption), révélés la semaine dernière.

Liens avec Nicolas Sarkozy

Selon ce dernier, le 4 avril 2013, M. Squarcini a sollicité par SMS son successeur à la tête de la DCRI, auparavant son adjoint, pour être renseigné sur la fiabilité d’un individu nommé « Bossart » dans le rapport. Il pourrait s’agir de Fabien Baussart, un homme d’affaires proche de certains oligarques russes et à la réputation controversée. M. Squarcini recevra une brève réponse indiquant en substance que l’individu était peu recommandable. Dans la foulée, il le transférera à Claude Guéant, qui cherchait alors, dans le cadre de ses nouvelles activités d’avocat, à développer des affaires en Russie avec l’intermédiaire Alexandre Djouhri. Pour les enquêteurs, M. Calvar n’a pas transgressé un quelconque secret en répondant ainsi à M. Squarcini.

Ce n’est pas la première fois que M. Calvar est sollicité par l’entourage de Nicolas Sarkozy pour tenter d’obtenir des informations. Comme l’avait révélé Le Monde, M. Sarkozy ainsi que son directeur de cabinet, Michel Gaudin, avait téléphoné au directeur de la DGSI à plusieurs reprises, comme en juin 2013, pour tenter de savoir si ses services enquêtaient sur un possible financement libyen de la campagne présidentielle de 2007. L’équipe Sarkozy cherchait ainsi à savoir si l’ancien interprète du colonel Kadhafi, Moftah Missouri, était en contact avec eux, comme on le leur avait dit. M. Missouri avait affirmé publiquement que Mouammar Kadhafi lui avait indiqué qu’il avait financé la campagne de M. Sarkozy.

M. Calvar avait été entendu, déjà comme témoin, en mars 2014, par Serge Tournaire et René Grouman, les magistrats alors en charge de l’enquête sur un possible financement libyen de la campagne de M. Sarkozy. Il avait confirmé avoir été sollicité tout en indiquant, comme l’attestent les écoutes, qu’il n’avait pas transmis d’informations confidentielles. Michel Gaudin avait pourtant assuré à Nicolas Sarkozy que M. Calvar leur était « fidèle ». « Ce n’est pas bon signe quand même pour lui de ne pas [nous] avoir rappelé [s] », avait alors dit l’ancien chef de l’Etat à son directeur de cabinet, agacé de ne pas avoir de retour. Sollicité par Le Monde, M. Calvar n’a pas donné suite.

L’audition de M. Calvar s’inscrit dans une vaste enquête destinée à déterminer comment Bernard Squarcini a mis à contribution ses contacts dans la police pour en faire profiter notamment les entreprises pour lesquelles il travaillait. Reconverti dans le privé après 2012 et son éviction du pouvoir par la gauche, M. Squarcini avait notamment noué un contrat avec le groupe de luxe LVMH. Alors que celui-ci était empêtré dans un conflit pénal avec la société Hermès, l’ancien policier avait bénéficié d’informations couvertes par le secret de l’enquête. Le 28 septembre, il a été mis en examen pour de nombreux chefs, parmi lesquels le trafic d’influence, la compromission ou l’entrave.