Dans la commune des Cayes, dans le sud d’Haïti, lundi 3 octobre. | ANDRES MARTINEZ CASARES / REUTERS

Haïti, le pays le plus pauvre et le plus vulnérable des Amériques, et la Jamaïque continuaient de subir, mardi 4 octobre, les assauts de Matthew, le plus puissant ouragan frappant le bassin des Caraïbes depuis le cyclone Felix en 2007. Après avoir frôlé les côtes colombiennes, l’énorme ouragan a obliqué vers le nord en direction d’Haïti et de la Jamaïque. Selon les prévisions du Centre national des ouragans (NHC) américain, basé à Miami, il devrait poursuivre sa route vers le nord – nord-ouest en direction de Cuba, des Bahamas puis de la côte des Etats-Unis. La Floride et la Caroline du Nord ont décrété l’état d’urgence.

Inondations, fortes rafales de vent : dès lundi, l’île d’Hispaniola que se partagent Haïti et la République dominicaine, et la Jamaïque ont ressenti la violence de Matthew, un ouragan de catégorie 4 (sur les 5 que compte l’échelle de Saffir-Simpson). Ses vents atteignant 230 km/h ont provoqué une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres dans le sud d’Haïti. Au moins deux pêcheurs sont morts dans le naufrage de leurs frêles embarcations au sud du pays. Deux autres personnes sont mortes au cours des jours précédents : un adolescent de 16 ans dans le petit archipel de Saint-Vincent-et-les-Grenadines et un homme en Colombie. Le bilan risquait de s’alourdir alors que l’œil du cyclone s’engageait entre la Jamaïque et Hispaniola dans la nuit de lundi à mardi.

Prudence et solidarité

Les spécialistes du NHC ont mis en garde contre les risques d’inondations, de glissements de terrain et de coulées de boue provoqués par les pluies diluviennes. Selon le NHC, les précipitations pourraient atteindre entre 40 et 60 centimètres dans le sud d’Haïti et le sud-ouest de la République dominicaine.

Le relief escarpé d’Haïti et l’ampleur de la déforestation aggravent les conséquences désastreuses de ces pluies diluviennes. « Nous sommes préoccupés par la lenteur de l’ouragan Matthew », s’inquiétait Ronald Semelfort, le directeur du centre haïtien de météorologie. Moins l’ouragan avance vite, plus les quantités d’eau qu’il déverse sont importantes. Au cours des dernières 24 heures, la vitesse de Matthew oscillait entre 9 et 13 km/h.

Malgré l’imminence du danger, les autorités peinaient à faire évacuer les zones à risque. En Haïti, où les deux aéroports, les écoles et les administrations ont été fermés, le président intérimaire, Jocelerme Privert, a appelé ses concitoyens à la prudence et à la solidarité. « Mes compatriotes, ne soyez pas têtus, ne dites pas : “Dieu est bon et prendra soin de nous”. Il faudra évacuer les zones qui représentent un danger, nous n’avons aucun intérêt à risquer notre vie », a-t-il déclaré après une réunion avec les organismes de secours.

Le relief escarpé d’Haïti et l’ampleur de la déforestation aggravent les conséquences désastreuses de ces pluies diluviennes

Marie Alta Jean-Baptiste, la directrice de la protection civile, reconnaissait la résistance des populations qui craignent de voir leurs habitations pillées si elles sont évacuées. Selon les autorités, 1 300 abris provisoires pouvaient accueillir 340 000 personnes. Mais lundi, seules quelques centaines s’étaient mises à l’abri. Dans des messages radiodiffusés, Youri Chevry, le maire de la capitale, Port-au-Prince, continuait d’appeler les habitants des zones à risque à se mettre à l’abri.

Haïti est loin de s’être relevé du terrible tremblement de terre qui a tué plus de 200 000 personnes en 2010. Plus de 55 000 personnes vivent toujours dans des camps de fortune et leurs conditions misérables vont encore se détériorer à cause de Matthew. Les pluies diluviennes de l’ouragan vont aggraver l’épidémie de choléra introduite par les casques bleus des Nations unies qui a tué plus de 10 000 Haïtiens et infecté plus de 700 000 personnes.

Matthew pourrait aussi provoquer un nouveau report des élections, présidentielle et législatives, prévues pour le 9 octobre. Le conseil électoral a tenu lundi une réunion d’urgence pour « observer la situation climatique » et ses conséquences sur la tenue du scrutin.

316 000 personnes évacuées à Cuba

En Jamaïque aussi, les autorités avaient du mal à convaincre les personnes menacées d’abandonner leurs logements. A Port Royal, près de l’aéroport de la capitale, Kingston, seules quatre personnes dont deux enfants ont abordé les cars envoyés par les autorités pour évacuer les populations menacées, déplorait le ministre des collectivités locales, Desmond McKenzie. Le premier ministre, Andrew Holness, a cependant garanti que l’île était « beaucoup mieux préparée » que lors du cyclone Gilbert, qui avait fait 40 morts et des dégâts considérables en septembre 1988.

Les évacuations allaient en revanche bon train à Cuba, où six provinces orientales ont été placées en alerte cyclonique. Lundi soir, quelque 316 000 personnes habitant des zones menacées avaient été évacuées, la plupart chez des parents ou des proches. En tournée d’inspection dans les provinces menacées, le président, Raul Castro, a appelé la population à se préparer comme si Matthew était « deux fois plus puissant que Sandy ». Il y a quatre ans, l’ouragan Sandy avait tué onze personnes et fait plus de 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) de dégâts à Cuba.

Située sur la trajectoire de Matthew, la base américaine de Guantanamo, à l’extrémité orientale de Cuba, a été partiellement évacuée. Les 61 prisonniers accusés de terrorisme sont restés sur l’île. Aux Bahamas, Matthew pourrait provoquer la suspension des activités de l’important terminal pétrolier de South Riding Point, situé à Freeport.