La journaliste britannique et chercheur en droit Sarah Harrison, qui travaille avec l’équipe de défense juridique de WikiLeaks, et Julian Assange, en visioconférence, le 4 octobre, à Berlin. | STEFFI LOOS / AFP

C’est un anniversaire informel que célébrait, mardi 4 octobre, Julian Assange, le fondateur de WIkiLeaks. Il y a dix ans, il enregistrait un nom de domaine qui allait devenir célèbre : Wikileaks.org. Cent vingt mois plus tard, l’organisation a égrené, lors d’une conférence de presse à Berlin, une longue liste de ses publications (câbles diplomatiques américains, courriels de Hillary Clinton, etc.) en se félicitant d’avoir rendu publics « dix millions de documents » qui seraient « restés inaccessibles au grand public » sans son action.

Les soutiens du site, notamment aux Etats-Unis, s’attendaient à ce que Julian Assange profite de l’occasion pour publier de nouvelles révélations concernant Hillary Clinton – l’organisation et ses proches ont fait allusion à plusieurs reprises au fait qu’elle détient d’autres documents incriminant pour la candidate démocrate, après la publication cet été de courriels du Parti démocrate qui montraient qu’elle avait été favorisée par les instances du parti dans son combat contre son rival pour l’investiture, Bernie Sanders.

Des révélations sur la campagne américaine et Google

WikiLeaks n’a cependant publié aucun document à l’issue de sa conférence de presse, mais Julian Assange promet que de très nombreuses révélations seront bientôt mises en ligne. L’organisation publiera de nouvelles informations « chaque semaine pendant les dix prochaines semaines », en citant explicitement la date du 8 novembre et l’élection présidentielle américaine. Ces nouveaux documents contiendront « des informations importantes sur des sujets comme la guerre, le trafic d’armes, le pétrole, Google, les élections américaines et la surveillance de masse », a affirmé Julian Assange.

Visiblement fatigué, M. Assange, qui intervenait par visioconférence, a également lancé un appel en direction des journalistes, leur demandant de le contacter pour travailler sur ces nouveaux documents. Le fondateur de l’organisation estime que WikiLeaks est plus que jamais dans le collimateur des autorités américaines, et que « WikiLeaks va devoir changer pour survivre et prospérer durant les prochains mois ».

Il dit souhaiter recruter « une centaine de journalistes supplémentaires », et avoir besoin « d’une armée – pas une armée physique, bien sûr – pour défendre l’organisation contre les pressions qui arrivent de toutes parts ». « Même si je suis contraint de démissionner, la publication continuera », a-t-il déclaré. D’ici un mois, le site va mettre en place un système d’abonnements payants, dont les modalités n’ont pas été détaillées.

Quelles sont ces « pressions » évoquées par Julian Assange ? Tout d’abord la procédure qui le vise dans l’enquête ouverte pour viol en Suède, dans laquelle il n’est pas mis en examen mais doit être entendu comme témoin. C’est en raison de cette procédure que M. Assange s’est réfugié dans l’ambassade d’Equateur, où il vit toujours, affirmant craindre d’être sommairement extradé vers les Etats-Unis s’il se rendait en Suède.

Le fondateur de WikiLeaks demande l’abandon des poursuites, s’appuyant notamment sur une décision d’une commission des Nations unies qui a statué qu’il était victime d’une « détention arbitraire ». Le dossier judiciaire a pourtant largement progressé ces dernières semaines : Julian Assange, l’Equateur et la Suède sont finalement parvenus à un accord pour pouvoir entendre M. Assange dans les locaux de l’ambassade. L’audition doit avoir lieu le 17 octobre.

« Lui balancer un drone »

Mais depuis plusieurs jours, WikiLeaks affirme que la vie de Julian Assange est bien plus directement menacée. La conférence de presse devait originellement avoir lieu depuis Londres et l’ambassade d’Equateur, avant d’être finalement organisée à Berlin – pour des raisons de sécurité –, a fait savoir WikiLeaks, sans donner plus de précision.

Le site a cependant multiplié ces dernières quarante-huit heures les références à une phrase qu’aurait prononcée Hillary Clinton en 2010, après le début de la publication, par WikiLeaks en partenariat avec plusieurs journaux, dont Le Monde, de centaines de milliers de documents diplomatiques. « On ne peut pas juste lui balancer un drone ? », aurait demandé la secrétaire d’Etat, selon le site True Pundit, abondamment repris par WikiLeaks.

L’article en question, qui regorge de détails, ne cite aucune source identifiable, rappelle le site spécialisé dans le fact-checking Snopes. Quant à True Pundit, site créé il y a six mois et qui tient une ligne éditoriale favorable à Donald Trump, il cite à l’envie plusieurs théories du complot, et ne comporte aucune mention légale ni auteur. Sur sa page Twitter, il se présente comme un média qui va « s’attaquer au complexe des médias de gauche et ramener l’intégrité dans le journalisme et en Amérique ».

Les militants pro-Trump soutiennent WikiLeaks

De quoi alimenter les accusations ayant émergé après la publication des courriels démocrates faisant de WikiLeaks, sinon un collaborateur, du moins un allié objectif de Donald Trump – la conférence de l’organisation était d’ailleurs diffusée sur une Web-télévision mise en place pour la campagne du candidat républicain. Pourtant, WIkiLeaks a réaffirmé ce mardi qu’il ne comptait jouer aucun « rôle partisan » dans l’élection américaine. « Si nous obtenons des informations sur un pouvoir ou un candidat, quel qu’il soit, durant la période électorale, nous les publierons », explique l’organisation dans une « foire aux questions » rendue publique mardi.

Reste que les soutiens de l’organisation semblent aujourd’hui nettement plus nombreux, aux Etats-Unis, dans le camp républicain que dans le camp démocrate – en témoignent de nombreux sondages en ligne lancés par WikiLeaks, dans lesquels les soutiens de Donald Trump sont très présents.

Ironiquement, c’est pourtant le camp républicain qui a eu, depuis 2010, les mots les plus menaçants envers Julian Assange. Dans une courte vidéo mise en ligne mardi, WikiLeaks montre une dizaine d’extraits d’interviews dans lesquels des responsables politiques appellent à stopper WIkiLeaks et Julian Assange par tous les moyens – dont l’assassinat.

Mais ceux qui appellent à la mort de M. Assange dans ce film sont tous des ténors ou des éditorialistes de la droite américaine qui soutiennent Donald Trump, à deux exceptions près – le lieutenant-colonel Ralph Peters, très critique envers M. Trump, et Bob Beckel, décrit jusqu’à récemment par WikiLeaks comme un « stratège de la campagne d’Hillary Clinton ». A tort : si M. Beckel a bien travaillé pour des candidats démocrates dans les années 1980, il est devenu commentateur pour plusieurs télévisions et médias, et ne travaille pas pour la campagne présidentielle.