Slimen Elkamel, « En attendant… », acrylique et transfert sur toile, 197 x 197 cm, 2016. | Courtesy Galerie Aïcha Gorgi

Bamako, 1963. Le « groupe de barbus » que feu le photographe malien Malik Sidibe avait capturé n’a pas la pilosité des djihadistes qui menacent aujourd’hui le Mali. Normal, il s’agissait d’un groupe de chanteurs et musiciens réputés. Le jeune couple que l’œil de Bamako saisit treize ans plus tard sur une plage n’est guère plus inquiétant. Les jeunes gens à peine pubères ont beau se toiser avec des pierres, leur gestuelle relève moins de l’affrontement que de la parade sexuelle.

Ce n’est pas le moindre mérite de la foire 1:54 que d’exposer en majesté l’un des maîtres de la photographie africaine décédé au printemps, en ravivant un temps, pas si lointain, où les corps répondaient plus volontiers au son du twist qu’à l’appel du muezzin. Et c’est là l’autre qualité de ce salon créé voilà quatre ans par Touria Al-Glaoui : rompre avec les clichés et les plaies qui plombent l’Afrique pour en montrer la diversité créative.

A 10 000 euros, un monde foisonnant qui s’ouvre

Si la foire a contribué à asseoir un marché pour les créateurs africains, elle ne tombe pas dans la facilité. On y trouve certes des stars, comme le Soudanais Ibrahim Al-Salahi, dont un diptyque est présenté pour 680 000 euros par la galerie londonienne Vigo. Mais le salon reste avant tout un lieu de découvertes, où les amateurs lassés par les usual suspects occidentaux peuvent sortir des sentiers battus sans se ruiner. Comptez à peine 850 euros pour les photos de Girma Berta, un jeune Ethiopien de 26 ans fou d’Instagram repéré par une jeune galerie d’Addis-Abeba, Addis Fine Art. Pour quelques centaines d’euros de plus, on peut emporter les collages-palimpsestes de la Franco-Béninoise Leslie Amine sur le stand du centre d’art Bandjoun Station, animé par l’artiste camerounais Barthélémy Toguo. Un effort supplémentaire, et, pour moins de 10 000 euros, c’est tout un monde qui s’ouvre aux amateurs : des dessins foisonnant de détails du Tunisien Slimen Elkamel chez Aïcha Gorgi, aux feuilles gorgées de mystère de Franck Lundangi sur le stand de la Parisienne Anne de Villepoix.

« Depuis janvier, les Nigérians viennent voir les expositions, mais ils n’achètent pas » Caline Chagoury, galeriste à Lagos

Nous voilà bien loin des emballements de prix recensés par les rapports sur le marché de l’art africain. Selon le dernier en date, pondu par le portail Barnebys, les tarifs des artistes africains auraient été multipliés par cinq ou dix en une décennie. Derrière les effets de loupe, la réalité se révèle plus contrastée. « On parle de 54 pays qui sont tous à des moments différents de leur évolution », insiste Touria Al-Glaoui.

Prenez le cas du Nigeria. Le pays jouit d’un marché intérieur très fort. Trop fort peut-être, ce qui a conduit les artistes à se reposer sur leurs lauriers. Or la chute du baril du pétrole a fortement affecté l’économie et, a fortiori, l’appétit des amateurs. « Depuis janvier, les Nigérians viennent voir les expositions, mais ils n’achètent pas, ce qui n’arrivait jamais avant », confie la galeriste de Lagos Caline Chagoury, qui présente un solo show de l’artiste helvéto-guinéenne Namsa Leuba.

Namsa Leuba, « Passports »,de la série Zulu Kids, 2014. | Namsa Leuba/Courtesy Galerie Echo Art

Pour certains artistes du cru, habitués à voir leurs œuvres s’envoler à des prix insensés, la douche est glacée. « A Lagos, les artistes nigérians ont eu l’habitude de vendre sans problème leurs œuvres à 20 000 dollars. Mais une fois qu’ils se retrouvent en Occident, les gens qui ne les connaissent pas ne voient pas pourquoi ils dépenseraient ne serait-ce que 5 000 dollars pour leurs œuvres. Il faut que les Nigérians apprennent à réviser leurs prix quand ils sont ailleurs que chez eux », estime l’artiste nigérian Victor Ehikhamenor qui, avec ses totems et ses tentures mêlant passé et présent, jouit d’un solo show sur 1:54.

Pour les créateurs du Maghreb, la donne est différente : leur marché intérieur est faible, voire inexistant. Signe des temps, plusieurs galeries tunisiennes et marocaines sont présentes pour la première fois sur le salon. « Je sens que le vent tourne vers l’Afrique plutôt que vers le monde arabe », admet Nadia Amor, directrice de l’Atelier 21 à Casablanca et habituée de la foire d’art de Dubaï. « L’étiquette Afrique est plus solide, abonde sa consœur tunisienne Aïcha Gorgi. A tort ou à raison, je n’ai jamais cru au mirage du marché arabe. En Afrique, ce n’est pas l’argent qui a créé l’Histoire. L’Afrique est un berceau de l’Histoire. » Une histoire dont le public occidental commence tout juste à prendre la mesure.

Foire 1:54 à Londres, Somerset House, du 6 au 9 octobre.