Le député du Parti authenticité et modernité (PAM) Salaheddine Aboulghali (à gauche avec le dossard au tracteur) fait du porte-à-porte dans le bidonville de Lahraouiyine, en compagnie de Mustapha Bakkoury (centre, avec la casquette), président de la région Casablanca-Settat. 3 octobre 2016 | Youssef Ait Akdim

Une double-voie balafre Lahraouiyine, à 10 km de Casablanca. A droite, des habitations bon marché derrière des trottoirs défoncés. Ici, l’aménageur public Al-Omrane a recasé les anciens du bidonville des Carrières-Centrales. « Notre province a soulagé la métropole de la pression démographique », édulcore Salaheddine Aboulghali, député sortant et candidat aux législatives du 7 octobre pour le Parti authenticité et modernité (PAM, centre gauche). De l’autre côté de la route, le vieux Lahraouiyine compte ses propres bidonvilles.

A 44 ans, père de trois enfants, M. Aboulghali est un patron prospère dans l’immobilier et l’aménagement industriel à Médiouna, berceau de sa famille paternelle, « qui [lui] a permis de se faire un nom en politique ». Il descend de son gros 4x4 de marque allemande pour appeler à voter « tracteur », l’emblème du PAM, un parti né en 2008 et qui a raflé, dès l’année suivante, plus de 6 000 sièges d’élus communaux dans tout le Maroc. Depuis 2011, M. Aboulghali est le député de la circonscription qui regroupe deux communes urbaines (Médiouna et Tit Mellil) et trois rurales (Lahraouiyine, Al-Mejjatia, Sidi Hajjaj). Il préside aussi une radio privée à Casablanca, Luxe Radio.

Odeurs fétides

Dans le bidonville Chichane – Tchétchénie en arabe –, la plupart des constructions sont apparues hors de tout cadre légal. Les ruelles sont traversées de rigoles dégageant des odeurs fétides. Il n’y a pas d’égouts et les enfants qui jouent dehors doivent éviter d’y tremper leurs sandales. Lahraouiyine connaît une croissance rapide. Selon le recensement général de 2014, la population y augmente à un rythme moyen de 10 % par an et a atteint 75 000 habitants. Egouts, eau potable, transport et insécurité, les doléances des habitants concernent des besoins de base.

A Casablanca, une femme fait la vaisselle avec un filet d’eau en 2014. Une situation comparable à la ville de Lahraouiyine, situé à 10 km seulement de la métropole maocaine. | FADEL SENNA/AFP

Lundi 3 octobre, M. Aboulghali, dont l’élégance détonne dans le décor, a invité son ami le président de la région Casablanca-Settat, Mustapha Bakkoury, à l’appuyer dans sa campagne. Ancien secrétaire général du PAM, il est aujourd’hui à la tête de Masen, l’agence marocaine pour l’énergie solaire. « Nous vous avons ramené le président de Casa, parlez-lui de vos problèmes! », insiste Krimau, le colistier de M. Aboulghali. « L’eau du puits n’est pas bonne !, dénonce une mère de famille. Elle ne profite qu’aux voleurs. » La dame, voilée, est vêtue d’une djellaba bon marché. « Ici des élus exploitent la misère en vendant l’eau du puits », explique Abderrahim Bendaou, patron de la société de distribution Copralim et l’un des financiers du parti du « tracteur ».

Pour ces législatives, le PAM a encore renforcé son emprise sur les milieux d’affaires. A Mohammedia, son chef de file est Haj Tahar Bimezagh, patron des charcuteries Koutoubia. Asmaa et Faouzi Chaâbi, héritiers d’une des plus grandes fortunes du Maroc, défendront respectivement les couleurs du PAM à Essaouira et à Kénitra. « Nous sommes un parti national qui attire hommes, femmes, démunis, étudiants et patrons. C’est notre force », se justifie Salaheddine Aboulghali. Et pourtant, comme pour tout au Maroc, le palais n’est pas très loin. Le parti doit sa création à Fouad Ali Al-Himma, un intime de Mohammed VI depuis leurs années de collège royal. L’objectif était de barrer la route aux islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) avec une alternative politique crédible et attractive . En 2011, M. Al-Himma a quitté le parti, sous la pression des manifestants du Mouvement du 20 février, né du « printemps arabe », qui réclamaient sa tête. Il a alors été nommé conseiller du roi.

Richesse et pouvoir

Sur le plan local, le PAM a cédé la présidence du conseil provincial en septembre 2015. La circonscription fait pourtant partie des zones rurales et périurbaines où le parti conserve une forte implantation, après avoir perdu les grandes villes. Les islamistes du PJD lui ont ainsi ravi Tanger et Marrakech et dirige, seul ou avec des alliés, quinze des vingt plus grandes villes du pays, contre deux seulement pour le PAM (Nador et Berkane). L’idée de faire des métropoles des vitrines pour un « projet de modernité et d’émancipation politique », comme le prétend M. Aboulghali, en a souffert.

Entre le PAM et le PJD, la détestation est réciproque. Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement et grande figure du parti islamiste, consacre une bonne partie de ses discours à fustiger le tahakkoum, un terme en arabe qui renvoie au contrôle autoritaire et à l’hégémonie dont il accuse ses rivaux. En 2009, le PAM était arrivé en tête des communales, en faisant son marché dans les autres partis et grâce à la bienveillance des autorités locales.

M. Aboulghali, en retour, n’a pas de mots assez durs contre l’actuel chef du gouvernement. « M. Benkirane attaque le PAM pour éviter le débat sur son bilan, qui est catastrophique, tranche le député. Nous allons remporter les législatives pour redresser le pays. »

En 2009, pour sa première campagne de terrain, Salaheddine Aboulghali avait surjoué la modestie en empruntant une vieille Renault 5 lors de ses sorties de terrain. Certains habitants lui avaient fait remarquer qu’ils connaissaient sa famille et sa réussite, disant « préférer un élu déjà riche qui n’allait pas [les] voler. » Pas dupes mais conformistes, les électeurs, respectueux en tout cas d’une société d’ordre où chacun tient son rang et où richesse et pouvoir ne sont pas incompatibles. En grosse cylindrée, de préférence.