Si Nicolas Sarkozy veut « poser les bases d’un gigantesque plan Marshall de développement de l’Afrique », Alain Juppé, favori de la primaire de la droite, estime qu’il faut « un partenariat d’égal à égal avec le continent ». Les deux hommes disent « aimer l’Afrique » et se rejoignent en affirmant que son destin « est lié » avec celui de la France.

Si vous êtes élu président de la République en 2017, qu’est-ce qui va changer dans la relation entre la France et l’Afrique ?

Alain Juppé C’est la volonté d’un partenariat à égalité. Il faut que nous sortions d’une vision maintenant dépassée de nos relations avec l’Afrique fondée essentiellement sur l’aide au développement. Maintenant, c’est le partenariat d’égal à égal qui est important. Je suis convaincu que le destin de la France et celui de l’Afrique sont liés. Le destin de l’Europe et celui de l’Afrique le sont également.

L’Afrique a des handicaps, mais elle a aussi des potentiels considérables et c’est à cela qu’il faut s’attacher dans le cadre de ce partenariat économique, notamment grâce à la présence d’entreprises françaises en Afrique.

Beaucoup disent que François Hollande a échoué en politique intérieure mais qu’en politique extérieure, il a plutôt réussi, et notamment en Afrique. Qu’en pensez-vous ?

Je ne partage pas du tout ce point de vue. Il a réussi sur certains points ponctuels comme notre présence au Sahel. En revanche, sa politique européenne est un échec désastreux. Quant à l’absence totale de la France au Proche-Orient, elle est maintenant constatée par tout le monde.

Vis-à-vis de l’Afrique, notre nouvelle relation doit reposer sur trois grands axes : la dimension politique, tout d’abord. Je pense que les choix des Africains doivent se faire en Afrique et non à Paris. Ça sera ma ligne directrice. On a progressé dans ce sens, ce n’est plus la situation qu’on a connue dans les décennies passées, mais il faut très clairement afficher notre intention dans ce domaine.

Le deuxième point, c’est la dimension économique. Il faut privilégier l’investissement et le commerce plutôt que l’aide, et cela passe par une présence accrue de nos PME sur le territoire africain.

Enfin, je ne veux pas oublier la dimension culturelle et linguistique. Nous sommes amis avec les pays anglophones, bien entendu, mais nous avons une relation particulière avec les pays francophones parce qu’une langue, ce n’est pas simplement des mots. C’est aussi une façon de penser et une façon d’être que l’on partage. Cette langue, on la partage et elle nous appartient à tous. Nous devons donc en assurer la promotion.

Quand vous dites que la politique africaine ne doit plus se faire à Paris, pensez-vous à ceux qui disent qu’Ali Bongo, en 2009, a été installé au pouvoir avec l’aide de Nicolas Sarkozy ?

Je veux sortir de cette problématique-là. Aujourd’hui, il y a des élections et des processus démocratiques internes au Gabon. Je crois que la France n’a pas à mettre son grain de sel dans le choix des Gabonais.

Vous pensez, comme l’opposition gabonaise, que la réélection très controversée d’Ali Bongo est un déni de démocratie ?

Il y a eu des observateurs européens dans cette élection. La Cour constitutionnelle s’est prononcée et c’est aux Gabonais de régler cette question.

Quand vous êtes arrivé au Quai d’Orsay, en 2011, avez-vous dû mettre fin à certaines pratiques franco-africaines que vous avez toujours dénoncées ces dernières années ?

Je n’ai jamais pratiqué la démocratie parallèle. Elle ne fonctionnait plus lorsque je suis revenu au Quai d’Orsay. Nous avons simplement envoyé un certain nombre de messages sur le respect des règles démocratiques. Je l’ai fait à propos de l’élection au Sénégal, quand le président Wade a voulu prolonger le nombre de ses mandats. Notre message a été bien reçu et ensuite, ce sont les Sénégalais qui ont choisi librement. Donc je crois que ce nouveau cours de notre relation politique est maintenant bien installé.

Y a-t-il aujourd’hui des chefs d’Etat africains qui n’entendent pas ces avertissements ?

Je vous laisse le soin d’en faire la liste. Mais le message de la France est le même.

Au Rwanda, Paul Kagame a eu des mots très durs contre vous et il a menacé de mettre un terme aux relations diplomatiques entre son pays et la France si vous êtes élu [Alain Juppé était ministre des affaires étrangères dans le gouvernement d’Edouard Balladur lors du génocide contre les Tutsi en 1994]. Que lui répondez-vous ?

Je n’en démordrai pas : la France n’a pas à se reprocher son attitude. Nous avons cherché par tous les moyens à réconcilier les parties rwandaises. D’ailleurs, après les accords d’Arusha, Monsieur Kagame avait rendu hommage à la France. Ensuite, il faut rappeler que lorsque le génocide s’est déclenché, c’est la communauté internationale qui a pris la poudre d’escampette et que l’opération « Turquoise » est à l’honneur de la France. Je ne veux pas en faire un sujet de polémique, mais nous sommes tout à fait prêts, dès demain, à coopérer avec le Rwanda, qui est un pays important dans cette région et qui se développe de façon tout à fait impressionnante.

La France a perdu la moitié de ses parts de marché en Afrique depuis le début du siècle. Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, dit que c’est à cause de la frilosité des chefs d’entreprise français.

C’est dû à deux choses selon moi. D’abord à la montée en puissance des autres pays. Le monde a changé, la mondialisation est à l’œuvre. La Chine est devenue l’une des premières puissances économiques du monde et il est donc normal que les parts de marché se rééquilibrent d’une certaine manière. Mais c’est dû aussi, et c’est vrai, à une frilosité française. Nous avons d’ailleurs souvent un débat avec les chefs d’entreprises qui nous disent : « La politique ne va pas assez loin. » Nous leur répondons : « Les entrepreneurs ne sont pas assez audacieux. » Je pense qu’il faut cesser de se renvoyer la balle et sortir de ce match de ping-pong. Il faut absolument que nos PME soient davantage entreprenantes parce que c’est leur intérêt. Elles ont des parts de marché à conquérir et cela représente du travail, de l’emploi.

Je pense que les choses sont en train de changer et qu’il y a une prise de conscience actuellement, que l’on pourrait résumer par « c’est en Afrique que ça va se passer ». C’est le continent qui va connaître la plus forte émergence dans les décennies qui viennent. Ça a commencé dans certains pays, c’est difficile dans d’autres, mais je crois que le mouvement est lancé.

Dans cette primaire de la droite et du centre, y a-t-il une différence entre les candidats sur la politique de la France vers les pays du Sud ?

Je n’ai pas beaucoup entendu mes concurrents s’exprimer sur ces sujets-là. On verra ce que les uns et les autres en disent. De mon côté, ma conviction est bien ancrée. Il faut faire de ce partenariat entre la France et l’Afrique un axe fort de notre politique. Cela passe aussi par le rétablissement de la compétitivité de nos entreprises, et c’est peut-être ce qui explique leur frilosité.

L’économie française est en souffrance. Le signe qui ne trompe pas est le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans. C’est un fléau qui mine notre économie, donc commençons par rétablir des conditions de compétitivité. Je suis alors persuadé que la France reviendra en force par ses entreprises, son partenariat, sa coopération.

Nicolas Sarkozy, qui est votre concurrent, a beaucoup parlé d’Afrique au cours des dix dernières années. Quelle est votre différence avec lui ?

J’aime l’Afrique et j’ai eu la chance de m’y rendre souvent. J’ai beaucoup d’amis africains et nous avons à Bordeaux une communauté africaine extrêmement importante. Nous avons des partenariats avec beaucoup de villes africaines comme Ouagadougou, Bamako, et nous faisons aussi de la formation des administrateurs africains. Ce lien entre l’Afrique et Bordeaux est très ancien et, hélas, il y a quelques siècles pour de mauvaises raisons [la ville fut un comptoir négrier qui a déporté environ 150 000 Africains de la fin du XVIIe jusqu’au début du XIXe siècle]. Mais, aujourd’hui, nous sommes très heureux d’accueillir beaucoup d’étudiants africains et de contribuer à la construction des élites du continent.

A la différence de Nicolas Sarkozy lors de son discours de Dakar en 2007, estimez-vous que les Africains sont suffisamment « entrés dans l’Histoire » ?

Je vous fais confiance pour commenter les propos que je viens de tenir et chercher la différence.