L’ouragan Matthew a surtout frappé le sud et le sud-ouest d’Haïti. | - / AFP

Dans un chat sur lemonde.fr, vendredi 7 octobre, Jean-Michel Caroit, correspondant du « Monde » en République dominicaine, a détaillé la situation en Haïti après le passage de l’ouragan Matthew et analysé la situation politique et économique de ce pays dévasté.

Le pays s’était-il préparé à l’arrivée de l’ouragan ? Des mesures avaient-elles été prises, y avait-il eu des ordres d’évacuation ?

Les autorités haïtiennes ont fait ce qu’elles ont pu avec des moyens très limités et l’appui de la mission des Nations unies. Comme souvent dans ces circonstances, les habitants des zones exposées ne veulent pas abandonner leurs maisons par crainte des pillages.

Quels sont aujourd’hui les risques pour le pays et la population ?

A très court terme : le manque d’abris, d’eau potable, d’aliments, de médicaments, de moyens pour lutter contre la recrudescence du choléra.

Est-il exact que les dégâts se limitent presque exclusivement à la partie sud-ouest du pays, et que Port-au-Prince fonctionne à peu près normalement ?

Oui, le gros des dévastations s’est produit dans le sud et le sud-ouest, la Grande Anse. La vie a repris à Port-au-Prince (avec ses limitations habituelles).

L’ouragan a-t-il détruit les habitats qui avaient été reconstruits après le séisme de 2010 ?

D’après les premiers constats, non, en tout cas pas dans la capitale. Matthew a surtout frappé le sud et le sud-ouest de Haïti, qui n’avaient pas été touchés par le séisme.

Comment la communauté internationale peut-elle venir en aide au peuple de Haïti, surtout après la polémique sur l’inefficacité de l’aide apportée après le séisme de 2010 ?

Haïti a besoin d’une aide humanitaire importante et rapide. L’une des grandes difficultés de la période qui a suivi le séisme de 2010 a été le manque de coordination entre les grandes agences internationales et la multitude d’ONG qui ont débarqué en Haïti. Une meilleure coordination est un des grands défis aujourd’hui et la condition d’une meilleure efficacité de l’aide humanitaire.

Les besoins sont immenses, en termes d’eau potable, d’aliments, d’abris, etc. La lutte contre la résurgence du choléra et la crise alimentaire constituent deux grands défis.

Y a-t-il déjà eu un appel aux dons pour les victimes ?

Les appels aux dons ont commencé (Action contre la faim, Care, Croix-Rouge, Handicap International…). L’ampleur des dégâts a été connue avec retard du fait des difficultés d’accès dans les zones les plus touchées dans le sud et le sud-ouest de Haïti.

L’Etat français va-t-il envoyer de l’aide ?

L’Union européenne a promis une première enveloppe de 255 000 euros, qui apparaît très modeste par rapport à l’ampleur de la catastrophe. Du côté de la France, dans le passé, face à de telles catastrophes, Paris a mobilisé rapidement ses moyens depuis la Guadeloupe et la Martinique.

Le gouvernement haïtien est-il en mesure de tenir le pays face à cette catastrophe ?

Il s’agit d’un gouvernement et d’un président intérimaires aux moyens limités. L’Etat haïtien, historiquement faible, a encore été affaibli par la crise politique ininterrompue depuis la chute de la dictature des Duvalier en 1986 et par une série de catastrophes naturelles. Le séisme de 2010, par exemple, a tué une grande partie des cadres de l’administration haïtienne.

Les moyens financiers de l’Etat haïtien sont très limités et une grande partie du budget dépend de l’aide internationale. Le Venezuela était devenu un des principaux bailleurs de fonds, mais la crise dans ce pays a considérablement réduit l’aide de Caracas.

Qu’en est-il du premier tour de l’élection présidentielle qui était prévu dimanche ?

Le conseil électoral provisoire (CEP) va évaluer la situation dans les prochains jours. Son président Léopold Berlanger espère pouvoir annoncer un nouveau calendrier électoral d’ici une semaine.

L’utilisation des écoles et des églises comme abris a été l’une des raisons du report. Ces locaux doivent servir de centres de vote. Matthew a également rendu impossible l’acheminement du matériel électoral dans certaines zones.

Le pays s’était-il relevé du séisme de 2010 ?

Le pays ne s’est que partiellement relevé du séisme de janvier 2010, qui a fait plus de 200 000 morts. On ne voit plus, depuis plusieurs années, les amoncellements de décombres dans la capitale, Port-au-Prince. Mais plus de six ans après le tremblement de terre, près de 60 000 sans-abri vivent toujours dans des campements de fortune.

Le slogan « reconstruire mieux » qu’avait lancé Bill Clinton, envoyé spécial des Nations unies pour Haïti, est largement resté un vœu pieu.

Dans quel état se trouve aujourd’hui l’économie du pays ? Le pays peut-il s’en relever ? On a l’impression de poser la même question à chaque fois…

La situation économique de Haïti n’a cessé d’être difficile. Elle s’est considérablement aggravée du fait du séisme de 2010. Le gros de l’assistance post-séisme a été de l’aide humanitaire. Les résultats de l’aide à la reconstruction ont été très décevants par rapport aux montants promis par les bailleurs de fonds.

Depuis l’aggravation de la crise au Venezuela, qui était devenu l’un des principaux bailleurs de fonds grâce au programme Petrocaribe, et la baisse de l’aide des autres bailleurs, ce sont les transferts de fonds de la diaspora qui soutiennent l’économie haïtienne.

L’aggravation de la crise économique a augmenté les flux d’émigration, vers la République dominicaine, les autres îles de la région, les Etats-Unis et l’Amérique latine.

Ne faudrait-il pas reboiser Haïti pour éviter d’autres catastrophes naturelles ?

Le reboisement est l’une des meilleures façons d’amortir l’impact dévastateur des ouragans et des tempêtes tropicales. Malheureusement, les expériences de reboisement en Haïti ont pour la plupart échoué par manque de coordination avec les populations locales.

On parle de Haïti, mais la République dominicaine voisine a-t-elle également été touchée aussi fortement ?

La République dominicaine, qui partage l’île d’Hispaniola avec Haïti, a été moins touchée. Les autorités ont fait état de quatre morts. Les vents qui ont soufflé en République dominicaine étaient de force tempête tropicale et non ouragan. L’essentiel des dégâts a été enregistré dans le sud-ouest de la République dominicaine, de Barahona à Pedernales.

L’ouragan a également dévasté la ville et la région de Baracoa à Cuba, comment peut-on aider les Cubains ? Quelles ONG iront sur place ?

L’ambassade de Cuba devrait pouvoir dire quelles sont les ONG autorisées par les autorités à intervenir à Baracoa.